[HAUTJARDIN] Dame en H4 et cavalier en H6 | Treyvir

Aelinor était pleinement concentrée sur la partie, cette fois, elle n’avait plus le droit à l’erreur. Oh il lui arrivait parfois de lever les yeux vers Treyvir, mais brièvement, d’autant qu’elle ne voulait pas qu’il lise dans ses yeux toute la hargne qui l’animait et les instants de satisfaction quand elle parvenait à l’attirer dans sa toile. Mais il contre-attaquait le bougre, il déjouait les pièges, il l’empêchait de faire ce qu’elle voulait. C’était tellement excitant ! Elle pinça les lèvres après une contre attaque particulièrement bien trouvée de la part du Cendregué, sa main restant en suspend quelques instants au-dessus du plateau, car elle devait changer ses plans de bataille suite à ce déplacement imprévu.


La brune aux yeux céruléens prenait un pied des sept enfers, bien décidée à arracher cette confidence grâce à son talent au Cyvosse. Une gorgée de vin ne lui avait rien enlevé de ses capacités cognitives et elle avait des heures de jeu à son actif contre un tas de partenaires dont certains très doués. Elle en avait perdu aussi des parties, mais plus celle-là avançait, plus elle se savait en bonne voie pour gagner. Pour autant l’excitation grandissante ne devait pas la déconcentrer, elle ne devait pas se désunir sur la dernière ligne droite et commettre l’erreur fatale. Son coeur accélérait peu à peu, mais elle gardait le contrôle, quitte à se mordre une ou deux fois la lèvre pour rassembler ses esprits, quitte à ralentir ses gestes pour ne pas montrer son empressement à déplacer une pièce qui aurait pu trahir qu’elle avait prévu ce coup depuis un moment déjà. Mais malgré tous ces efforts, elle adorait ce jeu et cela se voyait.


Quand elle leva les yeux une nouvelle fois, les jeux étaient faits, le sort du jeune seigneur scellé, elle le savait et elle voulait voir s’il le savait déjà. Elle fut comme happée par le regard qu’il dardait sur elle. Il le savait sans aucun doute et il la transperça de deux lames azur brûlantes. Elle aurait pu baisser les yeux, mais elle n’y parvint pas, au lieu de ça elle frémit et entrouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais rien ne lui vint à part une grande inspiration qui gonfla sa poitrine jusqu’à ce qu’elle soit enfin libérée de son emprise quand il se plongea dans son verre de vin. Puis il prit tout son temps et s’installa avant de coucher son roi. Elle n’osa rien ajouter de peur de réveiller la bête sauvage qu’elle avait vu danser dans les yeux de Treyvir un instant plus tôt. Et puis il eut été bien malpoli de jubiler. Elle attendait patiemment la révélation et se plongea dans sa tasse de thé pour se donner une contenance, laissant les pièces et le plateau en l’état.


Elle sourit en hochant la tête quand il commença à parler, il dit qu’une parole devait être honorée et elle était bien d’accord. La bienséance voulait qu’elle ne précipite pas les choses et qu’elle le laisse tranquillement s’exprimer. Aussi, elle ne dit rien. Elle remarqua seulement qu’il lui fallait beaucoup de vin pour se donner le courage de faire cette révélation. Mais elle finit par venir tout de même. Et Aelinor écouta en silence. il parla de Bronn, elle essaya de ne rien montrer du mépris qu’elle avait pour La Nera mais le rictus qu’elle afficha brièvement était sans appel. Elle pensait qu’il allait lui raconter une histoire somme toute banale et lui avouer qu’il n'appréciait pas Bronn plus que les autres nobles du Bief mais que sa position était par trop intéressante pour qu’il n'en profite pas. Mais non. Ce ne fut pas ce qu'il explosa. Au lieu de ça, il parla de torture, de monstre, révélant une histoire atroce et choquante à laquelle la jeune femme ne s’attendait pas du tout. Elle manqua de lâcher sa tasse de thé et la posa en hâte avant qu’elle ne lui échappe des mains. Elle mit la main sur sa bouche, ouvrant de grands yeux quand elle apprit qu’Ombelline avait été torturée. Tout le mal qu’elle pensait de la jeune femme s’effaça au profit d’une grande compassion. Elle se rendit compte à quel point sa réaction pendant et après l’incident de l’après-midi était ridicule vis à vis de ce qu’avait subi la demi-dornienne.


Il ment, ce n’est pas possible.


Vraiment, s’il mentait, il était terriblement bien. Un acteur né. Hésitant quand il fallait, reflétant dans ses expressions les bons sentiments. Non. Il disait la vérité. Elle aurait préféré qu’il mente. Mais il disait bien la vérité, elle en était presque certaine. Devant tant d’horreur, sa main, toujours devant sa bouche, se mit à trembler. Elle était tellement désolée. Puis il enchaîna sur ce qu’il avait fait pour se débarrasser du problème. Pour Aelinor, c’était sans appel, il avait fait ce qu’il fallait, il avait agit comme n’importe quel frère qui protège sa sœur, comme n’importe quel Seigneur qui protège ses terres. Mais elle avait toutes les peines à se calmer et à retrouver une contenance. Elle agita la main pour éventer son visage qui avait blêmit et elle faisait tout pour retenir les larmes qui tentait de noyer ses yeux céruléens.

__ Excusez mon émotivité, mais je n’ose imaginer ce que votre sœur et vous avez traversé. Cela a dû être horrible.


Bouger, marcher. Elle e devait pour recouvrer ses esprits et son calme. Elle se leva donc et s’éloigna des fauteuils, se dirigeant vers la fenêtre à l’opposé de la pièce. Face à la nuit, dos au Cendregué, elle reprit.

__ Si nous avions su ce qu’il se tramait à Cendregué, nous ne vous aurions jamais laissé seul face à ce… Monstre.


Ses mains tremblaient toujours, aussi, elle les croisa derrière elle et les serra de toutes ses forces pour arrêter cette ridicule réaction qui n’avait pas de sens. Ce n’était pas elle qui avait été torturée non d’une pipe ! Elle s’en voulait d’avoir tant haï Ombelline, mais il ne fallait pas laisser parler la culpabilité, juste laisser la vérité éclater. Comme le jeune Seigneur avait dû le faire sur le champ de bataille. Elle se tourna vers lui et donna le fond de sa pensée.

__ Sire. Vous n’avez fait qu’appliquer la justice du Père.


Retournant vers l’âtre tout en parlant, elle regarda d’abord ses pieds, puis le feu et enfin Treyvir sur qui elle posa un regard amical.

__ Quelle tristesse que le conflit qui opposait nos Maisons vous ait obligé à vous tourner vers Lord La Nera. Ce n’est pas un homme pour votre sœur, elle ne mérite pas la honte d’un mari coureur de catins. Nous aurions pu intervenir bien plus tôt et vous aider à protéger Ombeline et Duncan. Mais que cela nous serve de leçon, puissions nous rester solidaire pour que plus jamais une telle histoire ne soit possible.


Dit elle en rejoignant l’âtre de sa démarche altière et féline, le velours gris satiné ondulant de sa taille à ses pieds comme les vagues d'un océan sur lesquelles se reflétait la lumière argentée de la lune. Elle dépassa la table basse et s’arrêta à côté du fauteuil du Sire de Cendregué et lui tendit une main, paume vers le ciel, et lui offrit un sourire franc malgré le fait qu’elle avait encore les larmes aux yeux.

__ La Maison Hightower se tient aux côtés de la Maison Cendregué, désormais.

Aelinor n’avait pas tenu les comptes du nombre de verres de vin que Treyvir avait pu boire. Mais elle savait que si elle avait bu moitié moins, elle serait déjà en train de ronfler dans son fauteuil. Elle n’aimait pas s’enivrer, elle voulait trop garder le contrôle pour se permettre ce genre d’écart et en tant que femme, cela pouvait être fort dangereux. Surtout quand on jouait la mélodie de la séduction avec certains hommes. Mais elle pouvait lui pardonner d’avoir bu à l'excès en révélant un tel secret. Parfois l’alcool pouvait aider à oublier l’horreur, cela aussi elle le savait, s’il n’y avait pas eu sa famille, elle aurait pu s’y noyer elle aussi. Elle avait cependant appris que ce n’était qu’une illusion et que la douleur et les cauchemars reviennent dès que l’alcool s'estompent. L’esprit pouvait bien oublier, le corps lui se souvenait. Il suffisait alors d’une odeur, d’un bruit, pour que tout revienne et que la vague de terreur emporte la raison.


Un aveu de faiblesse ? Aucun homme, ni aucune femme, capable de faire ce qu’il fallait pour préserver sa famille et ses terres n’était faible. Aelinor était bien placée pour savoir que parfois, ce genre d’entreprise prenait plus de temps que prévu et demandait des sacrifices et des calculs ardus. Si tel n’était pas le cas, Bronn serait déjà mort et les Hightower à la tête du Bief et elle, Reine des Sept Couronnes. Pourtant, elle en était encore bien loin. Parce qu’elle jouait pour gagner et qu’elle n’avait pas l’intention de se brûler les ailes sur l'autel de ses ambitions. Ainsi, elle préparait la guerre tout en prêchant pour la paix, elle manœuvrait en sous-marin tout en se montrant au grand jour. Puisse le guerrier me donner le courage, puisse l'aïeule me montrer la voie.


La Hightower savait ce que cette révélation avait dû lui coûter et ce que ce passé devait lui peser. Ainsi, une fois passée l'émotion, elle se reprit pour faire front avec lui et lui montrer son soutien. Il saisit sa main et elle sentit les mêmes cales que sur celles de son père ou de son oncle, mais aussi la douceur. Preuve qu’il était un guerrier plus qu’un politicien mais qu'il prenait le soin de ne pas lui faire mal. Il se leva et répondit en détournant la tête. Elle sourit.

__ Demain, Sire. Nous tâcherons de libérer le Bief. Mais pour l’heure, je crois que vous avez bien mérité une bonne nuit de sommeil.


Dit-elle alors en lâchant sa main et en levant l’index pour appeler le serviteur.

__ Raccompagnez Lord Cendregué à ses appartements et occupez vous bien de lui.
__ Oui madame.


Répondit le serviteur obéissant, s’inclinant devant la brune aux yeux azur mais se montrant un peu nerveux devant Treyvir. Elle fit une brève révérence devant le Seigneur et le laissa rejoindre sa chambre avec le serviteur.

__ Faites de beaux rêves.


Puis elle s’assit dans le fauteuil face à l’âtre et se resservit une tasse de thé. Peut-être devrait-elle également aller dormir. Mais comment faire après tout cela, après ce terrifiant après-midi et après cette soirée à la fois délicieuse mais dont les révélations lui avaient serré le cœur.