Il connaissait cette ville comme son ombre. Il connaissait cette ville car il y avait vécu. Il connaissait cette ville car la seule figure paternaliste y résidait : Ilyrio Mopatis. Et après le drame que la compagnie dorée avait subie à Valyria, il fut tout trouvée pour elle de retourner à un endroit où elle saurait penser ses plaies. Un endroit familier du chef semblait plus correct, tandis que chaque membre pourrait y trouver les deux choses les plus importantes : de l'alcool et des femmes. Résumé en une seule : des endroits où dépenser leur argent. Et en cela, Aegon pouvait sembler pareil ; ou peut-être le serait-il s'il n'était pas le chef de cette bande de mercenaire. Le prestige de sa compagnie lui suffisait pour attirer les plus belles demoiselles dans son lit, la crinière d'argent et les yeux d'améthyste étaient en plus à cela. C'est ainsi qu'un individu demanda une entrevue avec le chef de la compagnie dorée, sans mentionner les raisons de cette dernière en premier lieu. Cette demande passa par l'un des lieutenants et Argon l'accepta, donnant rendez-vous quelques jours plus tard ; cependant, les nouvelles allaient bon train au sein du continent d'Essos et le dragon savait déjà, partiellement, quelle raison pouvait conduire cet homme à vouloir le rencontrer.

Ainsi, les petits plats avaient été mis dans les grands. Enfin, à la hauteur d'un mercenaire - d'une noble lignée, pourtant. Une chambre de taverne (une suite, même !) avait été réservé - la même que prenait régulièrement le dragon - et en celle-ci, avaient été disposés tables, chaises, et autres ustensiles pour le confort des personnes qui s'y trouveraient quelques temps. Un lit y était évidemment, pour tout cas charnel pouvant se présenter - et ce n'était pas parce-qu'il rencontrait un homme que cela ne pouvait pas se faire, après tout !

Un membre de la compagnie dorée avait pour ordre d'accompagner l'individu jusqu'à la chambre, afin qu'il ne se perde pas dans le dédale que représentait cette auberge gigantesque - au moins la taille d'un petit moulin, c'est dire. Les coupes avaient été disposées sur la table, le vin dans une carafe. Le dragon avait revêtu des atours... royaux, marqués des symboles de sa maison. Son épée Feunoyr, légendaire, à sa taille. Les quelques trésors qu'il détenait se trouvaient dans cette pièce, gardée et protégée. L'auberge n'était jamais sans surveillance.

L'homme entra, accompagné d'un soldat de la compagnie. Aegon inclina la tête, sourire aux lèvres et amusement dans le regard. "Messire Antaryon." prononça-t-il de sa voix rauque, en jouant de ses doigts râpeux, les frottant les uns aux autres. "J'ai ouï dire que votre famille requérait les services de ma compagnie. Laissez-moi me présenter. Je suis Aegon, capitaine-général de la compagnie dorée." Son nom n'avait pas d'intérêt ici, contrairement à celui de son interlocuteur, qui de toute évidence, saurait qui se trouvait en face de lui. "Les rumeurs qui nous viennent de Braavos sont peu glorieuses, mais comme vous pouvez vous en doutez, ces questions de succession, d'usurpation, représentent quelque chose de familier pour moi." s'en amusa-t-il tandis que d'un geste de la main, autoritaire, il ordonna au soldat qui était encore là de servir les verres de vin. "Mais parlez-moi un peu de vous, je vous prie. Vous m'intéressez." Il se recula sur sa chaise, s'adossant, en attendant que l'homme face à lui ne prenne la parole.

En réalité, peut-être que cette situation était un peu trop familière pour le dragon qu'il était. La perte d'un trône fut un événement tragique pour sa famille, un événement qui brisa sa propre vie, alors qu'il n'était qu'un enfant. Adieu l'héritage familial, adieu tout ce qu'avait bâtis ses ancêtres. La mort de sa tante, Daenerys, et le départ de son dragon, avaient sonné le glas de sa vie. Aegon doutait des perspectives de retrouver son héritage, car il n'était guère l'élu d'une quelconque prophétie, contrairement à sa tante. Il n'était pas l'héritier d'une immense fortune, ou de trois dragons, à l'instar de cet ancêtre de qui il tenait son prénom. En réalité, Aegon n'était qu'Aegon, et c'est pour cela qu'il n'avait guère le besoin de se présenter sous son nom de famille : ça n'avait que peu d'intérêt. Alors en ce jour, oui, peut-être que la situation était un peu trop familière à son goût. Peut-être qu'il avait déjà conscience des attentes du Antaryon, et que de fait, ne souhaitait pas voir une autre famille détruite. Mais en réalité, le système électif de Braavos interrogeait ce point : n'était-ce pas les Antaryon, qui étaient trop arrivistes ? N'étaient-ce pas eux, les Baratheon de cette histoire sordide ?

Peut-être que cela pouvait l'être, si on considérait qu'il jugeait positivement un système électif. Au vu de ce qui arrivait actuellement au trône de fer, qui avait bénéficié d'une majorité d'années de paix sous les Targaryen, il doutait qu'un tel système soit positif : cela accentuait les complots, les machinations, pour se rapprocher du pouvoir. Autrefois, on cherchait une épouse au prince héritier ; désormais, on donne de l'or en quantité pour s'assurer des votes et obtenir le trône. N'est-ce pas pire, finalement ?

C'était bien pour cela qu'il acceptait l'entrevue auprès du soleil - symbole qui lui rappelait sa défunte mère. Il y avait réellement quelque chose à y gagner, dans le cas d'une victoire. Et la mort ne l'effrayait pas.

"Je n'ai rien de souverain." répondit simplement le dragon, sans méchanceté, alors qu'il portait sa coupe à ses lèvres. "Profitez de cette coupe, c'est un vin de la Treille." Qu'il aimerait le déguster sur place, ne pas avoir à acheter des tonneaux qui ont été balancés dans des navires en proie à la peste et aux infestations de rats. Il prit quelques instants d'écoute, toujours ce sourire amusé sur les lèvres. Comme si le monde n'avait aucune importance. Ou comme si les convenances, même pour un mercenaire, étaient de rigueur ? En réalité non, mais l'éducation qu'il avait reçu - afin de faire de lui le prince parfait - le poussait à toujours être souriant, toujours être droit, toujours... être à la hauteur.

Il attendit, finalement, que son interlocuteur cesse sa présentation. "Rien de bien intéressant ?" questionna-t-il. "Tous les parcours sont intéressants. Votre famille vous a fait confiance, à vous, simple capitaine-marchand pour être diplomate à Port-Real et cela veut en dire beaucoup. Je ne connais pas votre famille, cela dit, mais je connais fort bien l'histoire de Braavos. Et la force de vos gouvernements." Il avait insisté sur le "simple", pas en guise de critique, mais pour marquer le fait que ce n'était pas un terme adéquat, avec une pointe d'ironie dans la voix.

Il sirota quelques instants son vin, absorbant les odeurs qui s'en échappaient, le dégustant. Parler de lui ? Il ne le faisait que rarement. En tant que mercenaire, son histoire n'avait aucune importance. "Je doute qu'elle soit plus intéressante que la vôtre. Mais plus tragique, c'est certain." Il marqua une courte pause. "Mais ne serait-ce pas son côté tragique qui la rendrait plus intéressante ? Les mestres répondraient allègrement à cette question. Cependant, les connaissants, ils ont surement déjà capitalisé sur le décès de ma tante et la fin apparente de notre dynastie pour écrire moult ouvrages racontant mensonges et médisances. "

Le détour était là, mais force était de constater qu'il devait bien entamer le vif du sujet. "Quant à moi, je suis Aegon, de la maison Targaryen. Fils du prince Rhaegar et de son épouse, Elia Martell. Petit-fils de celui qu'on nomme le roi-fou. J'ai été envoyé à Essos, auprès d'un généreux bienfaiteur, afin d'y vivre et d'y grandir pour me préparer à reprendre mon trône. Peu pensaient que Daenerys et Viserys survivraient. Je fus éduqué avec de nombreux enseignements, pour faire de moi un héritier digne du trône de fer. On me mit dans des situations de combat dès mon plus jeune âge. Alors que ma tante, en grandissant, fit éclore trois dragons - une fierté pour une personne de notre nom, je pris la décision de rejoindre la compagnie dorée. Malheureusement, cette dernière fut décimée dans sa majorité et me voilà ici, devenu son capitaine-général." Il prit de nouveau quelques instants, puis répliqua. "J'ai récemment pu constater... les horreurs qui se trouvaient à Valyria. J'en ai ramené quelques présents, dont l'amertume qui suit la perte d'une amie chère. Mais telle est l'histoire de ma vie, ce n'est qu'une perte de plus à essuyer." Si d'extérieur, il ne semblait pas éprouver la moindre tristesse au vu de ce ses paroles, il cachait la réalité. Habitué au deuil à cause de cette vie itinérante, il ne souhaitait pas montrer au monde la dévastation de son âme.

Il se leva, s'approchant d'une des fenêtres qui donnait une imprenable vue sur Pentos. "Mais parlons désormais de ce qui nous intéresse, et de la raison pour laquelle vous êtes là. Je ne doute pas que mon histoire peut être palpitante, mais pas suffisamment pour vous attirer auprès de moi. Que proposez-vous à la compagnie dorée pour ses services ?" La compagnie dorée, bien qu'ayant perdu ses effectifs, bénéficiait de l'une, si ce n'est la meilleure réputation des compagnies d'Essos. Il était tout naturel dans venir au tarif.

Malevenus ? Le terme était fort, bien qu'intéressant. L'homme venait requérir ses services, mais n'était pas en accord avec les choix de sa famille ? Étonnant. Une loyauté s'en faille, alors que lui-même connaissait sa cité natale. N'avait-il pas peur de perdre la vie, et que sa famille ne soit anéanti, si réellement ce coup d'état s'avérait malvenu ? Bien entendu, si le capitaine-général de la compagnie dorée venait à accepter de fournir ses troupes au braavien, cette compagnie, réputée pour aller au bout de ses contrats, ferait tout en son pouvoir afin de replacer légitimement la famille Antaryon à la tête de la bâtarde de Valyria. Légitimement, sous-entendait, en imposant cette légitimité et en faisant en sorte que plus personne n'ait à redire de ce fait. Et pour cela, bien des solutions seraient évoquées.

Aegon était à l'écoute, attentif et patient, il prenait compte des détails qu'on lui donnait. Il n'irait pas affronter des braaviens, vivant dans la plus riche et puissante cité libre, sans avoir toutes les informations à ses côtés. "Pourquoi venir chercher l'aide de la compagnie dorée, si vous trouvez ce fait malvenu ?" demanda-t-il, en premier lieu. "Bien entendu, je conçois le fait de vouloir voir sa famille survivre. Mais si c'est réellement malvenu, ne tenez-vous pas suffisamment à la vie pour... rester à Westeros et y mener votre vie ? L'instinct de survie pousse en général les hommes à abandonner ceux en quoi ils tiennent le plus, même la famille. À moins que l'amour ne s'y trouve, peut-être ?" Un petit rire, amusé, s'échappe de ses lèvres. La vie des hommes tournait bien souvent autour du bonheur de partager un lit, puis des enfants. Peut-être même que lui, tout mercenaire qu'il était, aurait déjà des enfants si sa vie n'avait pas été volée par l'usurpateur.

La simple mention de Valyria fut suffisante pour surprendre son interlocuteur. Après tout, qui pouvait témoigner avoir été en ces terres et être revenu pleinement vivant ? Qui pouvait dire avoir vu ces horreurs qui s'y trouvaient ? Ainsi, le dragon, toujours debout face à la vivre, déboutonna lentement son vêtement de soie rougeâtre avant de le retirer entièrement. L'instant suivant, il se retourna vers Nymeros, lui laissant entrevoir une large cicatrice sur le torse, qui ressemblait presque à une brûlure sous certains angles. "Un souvenir que m'a laissé Valyria, et les immondes maladies qui s'y trouvent." Il prit quelques instants. "Je suis un valyrien, descendant de seigneurs-dragons. Et je n'ai pas été épargné par les monstruosités qui s'y trouvent. Je suis revenu avec quelques trésors, suffisant pour que ce trajet ne soit rentable, mais loin d'être à la hauteur de mes espérances. Je sais que Valyria recèle de tant de belles choses. Le problème est d'affronter les abominations qui y vivent. Une armée ne serait pas suffisante. Il faudrait dix dragons, mais... Il faudrait dix Balerion, la terreur noire. " Des dragons qui seraient capable de faire fuir, d'un simple battement d'aile, les créatures vivants en ces lieux. Le ton de sa voix était sombre, dur. Il ne remit pas sa chemise, laissant au Antaryon le soin de voir la musculature qu'il cachait sous ses vêtements. Il se posa de nouveau, face à son interlocuteur, et reprit sa coupe entre ses lèvres.

Aegon était amusé de cette discussion. Il était amusé des valeurs du Antaryon, amusé de voir son sens familial prendre le dessus, amuser de le voir arguer les valeurs de la vieille Braavos, impénétrable face au temps. Amusé de voir qu'il ne voulait pas abandonner celui qui allait peut-être jeter l'opprobre sur sa famille, voire pire, la mort. Et un déshonneur éternel, qui traverserait les âges. Mais pourtant, il ne partageait pas du tout son point de vu. Il n'était pas du même avis sur les lois et coutumes de Braavos, pas du même avis sur le fait que ce coup d'état était malvenu.

Il prit quelques instants, seulement, avant de répondre. Quelques instants de réflexion pour peser ses mots. "Je comprends votre point de vu, bien entendu. Mais je ne le partage pas. Nous allons gagner cette révolte que votre père commet envers la cité de Braavos, et sa vérité deviendra la vérité générale. Comme ce fut le cas pour l'usurpateur qui assassina ma famille, et qui fit passer toute ma dynastie pour des fous et des rois cruels. Ce qui, au regard de leurs actions et de ce qu'il s'est produit ces dernières années, prouve que ce n'était pas le cas ; je crains que les règnes Baratheon-Lannister, et aujourd'hui Stark, ne soient pas meilleurs. Un reitre occupe une suzeraineté, niant les droits légitimes de familles ancestrales." Il ne connaissait que trop bien la situation géopolitique de Westeros. "Alors dites-moi, serait-ce si terrible que de gagner une bataille, d'imposer l'héritage à Braavos, de placer votre famille à sa tête et ainsi... D'être les grands victorieux de l'histoire ? Les lois sont faites pour être modifiées si nécessaire, ainsi va le monde. Les lois de succession, plus précisément, sont amenées à évoluer." Il n'y avait aucune animosité dans les paroles du dragon. "De plus, je trouve que les élections sont la pire façon de perpétuer la stabilité d'un royaume ou d'une cité, mais cela n'est qu'un avis personnel, venant notamment de ce Stark sur mon trône." À cet instant, effectivement, il éprouva un brin de rancoeur en prononçant ces mots.

Finalement, le sujet important sur la table, fut rapidement débattu. Il était important, certes, mais ne demandait finalement pas tant de discussions : Aegon demandait des choses logiques, et probablement que l'Antaryon se douterait même de ce qui serait réclamé en paiement, en venant ici. Personne ne pouvait douter du fait que ce Targaryen précisément, voudrait retrouver son héritage. "Fort bien. Préfériez-vous que le contrat soit établi par vos propres mains, ou nous pouvons nous en charger de notre côté ?" Beaucoup de marchés étaient conclues à l'oral, mais la compagnie dorée - qui tenait toujours ses engagements - préférait les mettre par écrit, s'assurant ainsi de la véracité de toutes les informations dites et conclues.

Après cela, Aegon se leva, traversant la pièce, mais se positionnant presque aussitôt derrière la chaise du Antaryon. Droit, de sa hauteur et de sa musculature, il baissa simplement sa tête près de l'oreille de son interlocuteur. Si près qu'il pouvait sentir le contact de son souffle chaud, si près qu'il pouvait sentir la peau du valyrien frotter sa propre peau. "Négociable." La voix était presque autoritaire, dure, intrépide. La main du guerrier vint se poser sur l'épaule du marchand, une poigne de fer, une poigne presque dominante, rompue par la guerre et les combats. Une autre main se posa sur son corps. Tout ce faisait délicatement, comme attisant une braise, voulant la transformer en flamme, non, en incendie. "Juste négociable ?" insista-t-il.