Sa plaisanterie fut vaine, après tout, lui-même n’y croyait pas. Alors il plissa sincèrement les lèvres, affichant clairement l’inquiétude qui le rongeait de l’intérieur. Tous les mensonges du monde n’auraient su tromper ses émotions profondes, Nymeros était un capitaine, un marchand, un bellâtre – un politicien ? un militaire ? Certainement pas. Il savait qu’en s’offrant les services de la Compagnie Dorée, il ne rentrerait pas à Braavos une fleur à la main. Non, cette fois, il rentrerait sans sourire et sans présents pour sa famille, mais bien avec une promesse funeste qu’il jetterait sur la ville qu’il aimait tant.

Aegon commença à parler de stratégie et le Renard écrasa un soupir las. N’importe quel autre membre de sa famille aurait été plus à-même de tenir cette conversation : Berea maniait les armes mieux qu’il ne le ferait jamais, Ellis était un bon lancier, Myria une danseuse de l’eau, Malleon était un excellent épéiste.

Nymeros, lui, était un marchand. Il savait vendre et il savait enjoliver la réalité lorsqu’il s’agissait de trouver un client potentiel. Dans son domaine, il était doté d’une verve prodigieuse.

Il posa son regard azuré sur le Commandant Général, qui se questionnait sur les effectifs de Braavos. Ses lèvres se plissèrent amèrement. La fille bâtarde de Valyria était une des plus grandes puissances du monde connu, commercialement mais aussi militairement. La peur noua sa gorge alors qu’il tentait de garder l’habituelle chaleur de sa voix :

— Voilà au moins une chose que je peux vous dire, je connais Braavos comme ma poche.

Au moins un avantage à son attachement à sa cité natale – et ses années d’ivrognerie.

— La cité en elle-même possède trois cents navires de guerre. En sachant que la Banque de Fer dispose de son propre armada, trois cent-soixante-quinze environ… Quant aux forces totales de la ville, le Guet est composé de cinq mille hommes, la Banque de Fer possède cinq mille hommes également, et il reste encore l’armée… Nymeros soupira longuement. Braavos doit disposer d’une armée d’environ vingt mille hommes, je dirais.

Il pinça les lèvres et ses sourcils se froncèrent.

— J’ignore quel parti prendra la Banque de Fer, ni même le Guet, d’ailleurs… Je crains que nous ne soyons largement en sous-effectif.

La voix du Renard mourut derrière le claquement des vagues qui s’agitaient devant lui. Il plongea dans ses pensées, obscures et profondes, réfléchissant autant que possible. Jusqu’à se rappeler pourquoi on le nommait le Renard.

— Notre meilleure stratégie serait la ruse, dit-il soudain. Ou nous infiltrer discrètement dans la cité, ou trouver un moyen d’y semer la terreur.

Sa gorge se serra de nouveau, remplie de regrets. Qu’allait-il faire subir à sa belle Braavos ?

Nymeros dardait sur le Targaryen un œil circonspect, peut-être même teinté de méfiance. Il n’était plus le fier prince qu’il avait rencontré peu avant, il n’avait plus ses sourires charmeurs ni son air avenant. Taciturne, l’air nerveux. Son front plissé, son regard sombre, il rappelait au Renard pourquoi les Braaviens ne portaient pas ceux de sa lignée dans leur cœur. A Braavos, descendre de l’antique Valyria n’offrait nul privilège. Tout au plus, on se surprenait des cheveux d’argent et on admirait la beauté des yeux violacés. Mais rien de plus. Les valyriens trop orgueilleux de leur vieux sang aspiraient plus la méfiance, le souvenir pesant des dragons, du feu, de la terreur.

Ainsi, quand Nymeros voyait le regard lointain d’Aegon et son front plissé, il se méfiait. Pire, il avait peur. Ou était-ce la guerre Braavienne, ou toute la situation, qui l’effrayait. Peu importait, il avait besoin du dragon à ce moment-là, et avait fait une promesse.

— Je sais que la flotte de Braavos est importante. Elle n’est pas la plus grande des cités libres pour rien.

Son ton anormalement sec trahissait qu’il était troublé et anxieux. Mais les mots d’Aegon lui faisaient l’effet d’un coup de fouet. La Compagnie Dorée serait un plus, mais ne suffirait pas. Telle était la triste réalité, confirmée par les mots suivants d’Aegon. Ils n’auraient pour eux que la ruse.

Quand le Targaryen demanda s’il était possible d’entrer dans Braavos sans éveiller les soupçons, Nymeros réfléchit de longues secondes, les yeux portés sur l’horizon dans une méditation silencieuse. Entrer à Braavos signifiait passer par le Titan, indéniablement. Et nul ne pouvait dire qui contrôlait l’entrée de la cité. Il agita lentement la tête.

— Que ce soit mon navire ou les vôtres, je crains que vous ne puissiez seulement entrer dans le port… La ville doit être en état d’alerte, et si ce sont mes ennemis qui contrôlent le Titan, alors… Peut-être une autre solution serait de trouver d’autres navires, avec des voiles de partenaires commerciaux connus de Braavos… Je ne sais pas trop.

Il plongea dans ses pensées pendant quelques secondes, ses sourcils froncés trompant son air d’habitude toujours avenant.

— La famille Antaryon a de nombreux alliés. Des partenaires commerciaux, surtout, mais peut-être pourrais-je trouver parmi eux d’autre familles, d’autres cités, qui se rangeraient à nos côtés ? Il y a bien une cité libre qui serait en mesure de se dresser contre Braavos, et dans laquelle mon père a des alliés puissants… Volantis. Nous pourrions faire voile là-bas ? Je peux en convaincre, là-bas, j’en suis sûr. Entre mes alliés puissants et les Tigres qui ne jurent que par l’ancien sang auquel techniquement, j’appartiens… Et vous aussi… Qu’en pensez-vous ?

Il craignait déjà les sacrifices qu’il aurait à faire, mais toute solution était bonne à prendre pour sauver les Antaryon. Sa famille comptait, plus que tout.

Nymeros lançait des coups d’œil furtifs vers son interlocuteur. Le commandant avait quelque chose d’inquiétant, dans sa posture et son regard. Le Renard regrettait quelque peu d’avoir à traiter avec le Dragon, comme tout bon braavien, il se défiait du nom Targaryen et des créatures de malheur qu’ils avaient chevauché. S’il ne se trompait pas, il restait bien un dragon en vie. Et dépourvu de dragonnier, peut-être Aegon saurait-il le réclamer ? Il ne l’espérait pas. Car au-delà de la simple perspective de voir un de ces monstres surgir, son potentiel cavalier l’inquiétait d’autant plus.

Le capitaine-général de la Compagnie Dorée le confirma : à eux seuls, ils ne pouvaient faire face contre Braavos. Nymeros grinça un peu des dents, dans une rare démonstration de son inquiétude. Il était si rarement angoissé, homme insousciant, chaleureux, souriant.

Comme la guerre faisait mal. Comme les ambitions étaient dévastatrices.

Il acquiesça à contrecœur. Oui, il faudrait compter sur ses relations. Heureusement, Nymeros et son père avant lui avaient toujours cultivé de bonnes amitiés à Volantis. Les plus grandes familles partisanes des Tigres comme des Elephants appréciaient les Antaryon, qui avaient bâti au fil des années et des générations un bel empire commercial. Restait à étendre ces alliances à la politique. Le Renard craignait ce qu’il y laisserait – oh il y perdrait bien des poils – mais n’avait d’autre choix.

Sa gorge se noua quand Aegon parla de recruter des combattants d’arène. S’il visait l’arène de Meereen, au moins recruterait-il des hommes libres. Libres depuis peu sans doute, mais libres… Il ne voulait pas d’esclaves parmi ses rangs, ou pour quoi passerait-il à Braavos ? On le renierait sans doute.

C’était un bon début, oui. Il hocha la tête.

— Alors nous sommes d’accord. Je vais adresser une lettre à mes amis de Volantis pour les prévenir de mon arrivée. Je pense que nous devrions nous mettre en route au plus tôt, alors.

Son front se marqua d’un pli inquiet, il inspira longuement. Il haïssait sa position actuelle. Il en voulait à son père. Mais il devait au moins essayer de leur venir en aide.