[Noirmarées] Le Noyé aura le dernier mot (ft. Brunhild)

__ Viens.

Il fallait être concentré pour grimper sur les rochers sans glisser ni tomber entre deux blocs. Alors le silence se fit le temps de l'ascension et Brunhild entendit à peine le murmure de Tyldr. Elle continua, chevauchant les rochers comme elle chevauchait les vagues et se fichant bien que le Salfalaise regarde son cul ou le paysage. Si elle avait fait un scandale à chaque fois qu’un homme avait posé les yeux sur elle, elle aurait passé plus de temps à gueuler qu’à se battre et elle n’avait pas que ça à foutre. Tant qu’il ne touchait à rien, il ne risquait pas de perdre une main. La grimpette était sportive, même pour une habituée, aussi la veuve avait le souffle légèrement raccourci et les joues rosies par l’effort en arrivant en haut. Elle souffla et se retourna pour aider son invité, mais il s’en sortait manifestement très bien tout seul.

__ Putain tu en as des tas de questions ! Poses-les donc et arrête de me demander si tu peux les poser ça va finir par me foutre de travers.

Fit-elle passablement énervée par tant d’ambage avant de se radoucir un peu parce que ce qu’il disait était tout de même sacrément gentil. Bon, elle avait envie de l’insulter et de lui dire qu’elle n’était pas du tout exceptionnelle, mais elle le laissa terminer se contentant de le regarder en fronçant les sourcils et en croisant les bras. Elle plissa les yeux, réfléchissant quelques instants avant de répondre. Bien évidemment qu’elle se posait la question, mais lui pourquoi se la posait-il ? Il était encore jeune et l’avenir se déroulait sous ses pieds pour peu qu’il survive aux prochaines batailles. De plus, il avait un frère, la lignée donc ne s'éteindrait pas avec lui quoi qu’il puisse lui arriver.

__ Toi c’est simple, maries toi et fais des gosses.

Répondit-elle avant de détourner les yeux et de reprendre la marche pour atteindre la porte de la forteresse. Moi, c’est compliqué. Il passèrent les gardes et Brunhild traversa la cour à grande enjambées avant de passer la grande porte en bois clouté de la forteresse. En entrant, elle ordonna qu’on prépare une chambre pour Lord Salfalaise et une pour son second ainsi qu’un dîner digne de leur hôte. Elle continua à marcher droit devant et franchit une nouvelle porte, quelques guerrières et guerriers se restauraient ou jouaient aux dés ou au lancer de hache avant d’aller prendre leur quart. Ils saluèrent Brunhild et regardèrent Tyldr avec méfiance.

__ Du pain, du sel et de la bière pour faire passer le tout !

Scanda-t-elle en sautant sur la petite estrade de la table seigneuriale.

__ C’est pour ça que tu es venu ? Tu veux épouser une de mes cousines je parie.

Brunhild savait que Tyldr voulait se montrer respectueux, elle ne le prenait pas mal. Elle préférait largement cela à un manque flagrant de respect. Certains ne se gênaient pas pour renvoyer la guerrière qu'elle était à son pire échec. Elle n'avait pas besoin d'eux pour penser qu'elle était une sacrée grosse merde de s'être laissée capturer et maltraitée par Euron. Elle aurait mieux fait de mourir, mais elle voulait vivre pour avoir l'occasion de se venger et de venger son fils. Hélas un autre avait eu la peau du Greyjoy et elle n'avait même pas pu lui faire payer ses crimes. Alors ils pouvaient bien se moquer, au fond elle le méritait certainement. En tout cas, toute l'admiration qu'elle avait pu susciter jusqu'à cet événement ne valait plus grand chose. Pour autant les hommes de Jansen ne l'avaient jamais trahie et elle avait été rejointe par de nombreuses guerrières. Alors peut-être que son glorieux passé n'était pas totalement oublié. Pas par tous en tout cas, pas pour tous remplacés par sa captivité et ce qu’elle y avait subi.

Quoi qu'il en soit, elle n'aimait pas perdre son temps en paroles inutiles. Elle allait droit au but et elle aimait les gens directs. Elle voulait juste le rappeler à Tyldr. Mais quelque part, le respect dont il faisait preuve la touchait, les compliments également. Elle se fichait pas mal du regard des autres, y compris de ceux lancés par ses gens au Salfalaise. Ils n’étaient pas habitués à voir d’autres seigneurs fouler les terres de la blonde, elle ne festoyait plus qu’avec ses capitaines depuis un bon moment préférant la compagnie des hommes qu’elle connaissait et en qui elle avait confiance plutôt que celle de ceux qui avaient suivi Euron. Il y avait bien les Harloi, parfois, ils avaient pourtant suivi l'œil de choucas. Mais c’était la famille et son frère restait son plus grand soutien, ce n’était pas une guerre qui allait semer la discorde entre lui et elle.

Une fois installés dans la grande salle, Tyldr lui demanda ce qu'elle prévoyait pour elle à l'avenir. Elle se raidit sur le champ. Plissant les yeux, elle fixa froidement le Salfalaise pendant un long moment. Certaines personnes avaient entendu l'échange et s'étaient tournés vers eux. À Noirmarées, tout le monde se posait la même question. Tous se demandaient ce qu'il adviendrait du fief, de sa flotte et des marins qui la composaient quand Brunhild mourrait. Elle le savait bien. Et elle savait que le temps lui était compté. Plus elle avançait en âge, moins elle aurait de chances de donner un fils à son île. Le jeune homme avait l’air bien décidé à parler d’avenir. Pourquoi, elle l’ignorait, mais elle avait essayé d'éluder la question et il y revenait. Elle allait donc devoir lui faire face et y répondre, ne serait-ce que pour savoir où il voulait en venir. S’il ne voulait pas une des cousines de Brunhild, pourquoi parlait-il d’avenir ?

__ Hum… Je vois. T'es pas décidé à me lâcher la grappe, hein.

La capitaine de la Marée Sanglante s’assit en soupirant. Fut un temps, elle avait évité les bâtards en usant de thé de lune pour que la légitimité de son fils ne soit jamais remise en cause. Mais maintenant, elle regrettait, tout aurait été plus simple si un fils avait pu être légitimé. Après la mort de Baelor, elle avait arrêté d’en prendre, mais elle n’avait pas pu garder le fruit de ses ébats à cause de la violence d’Euron. C'était une bonne chose au fond, car elle n’aurait pas pu le voir grandir et ressembler à son père. A ce moment, au fil de sa pensée, elle regarda longuement Tyldr en imaginant comment aurait été leur enfant si elle avait pu le garder. Elle savait qu’elle avait porté un enfant de lui juste avant de tomber entre les mains du Greyjoy, évidemment elle ne lui en avait rien dit et ne comptait pas lui en parler, jamais. A quoi bon. Jansen avait déjà essayé de la renvoyer à Noirmarées parce qu’elle perdait systématiquement leurs enfants. Si elle ne l’avait pas accepté de la part de son époux, elle l’accepterait encore moins de la part de son ancien amant. De toute façon, il ne devait pas savoir qui avait tué leur progéniture, inutile qu’une deuxième personne souffre de ne pas avoir pu le tuer pour venger les morts qu’il avait semés. Elle baissa finalement les yeux avec un air un peu triste.

__ J'imagine que je vais devoir pondre un héritier.

Dit-elle avant de serrer les dents. Elle ferma les yeux et secoua la tête. Heureusement, ce qu’elle avait demandé arriva bientôt, ou pas. Elle n’arrivait plus à regarder Tyldr dans les yeux et encore moins à lever sa chope sans trembler. Elle la lâcha, serra et desserra le poing en espérant que le Salfalaise n’ait pas eu le temps de voir sa main vaciller.

Brunhild émit un court rire à la réponse de Tyldr. C’était gentil, une fois de plus. Elle avait un peu envie de lui mettre des baffes quand il était gentil comme ça. Mais cela lui rappela surtout qu’elle se prenait parfois à se dire qu’elle aurait préféré mourir, elle aussi, en 289, aux côtés de Jansen. Alors elle aurait tranquillement festoyé dans les demeures liquides du Dieu Noyé et pour toujours aux côtés de son bien aimé. Le seul qu’elle ait jamais aimé, à la folie, à en perdre la raison. Et si elle n’avait pas fait la conne durant toutes les années qui avaient suivi la mort de sa fille, si elle l’avait écouté un peu, peut-être aurait-elle pu avoir un autre fils, même une fille cela aurait fait l’affaire. Et alors elle ne serait pas dans cette situation. Car elle avait survécu pour tenir la place, tenir Noirmarées pour Baelor et Baelor, cet imbécile devenu fervent des Sept était mort. Alors pour qui, pour quoi avait-elle tenu l’Île tout ce temps ? Et maintenant pourquoi continuait-elle à la tenir ? Elle posa la main sur la piètre verte qui ornait la garde de son épée. Pour avoir quelqu’un à qui donner l’épée de Jansen. Et pourtant, il n’aurait pas son sang. Il n’avait même pas un bâtard ou un enfant sel à légitimer. Tout ça parce qu’il aimait sa femme putain de merde !

Ses pensées divaguaient enfant qu’elle gardait une main sur sa chope et l’autre sur l'accoudoir de son fauteuil comme si elle allait glisser dans les profondeurs de l’océan. Les yeux posés sur ses gens qui, certainement attendaient une réponse, même après avoir détourné le regard, gêné par celui, acéré de la Sirène Sanglante. Elle était pourtant ce qui restait de plus proche de Lord Jansen et personne ne remettait son statut en question, qui l’aurait fait ? Qui donc aurait osé. Elle savait que, sans héritier, les autres seigneurs se déchireraient pour mettre la main sur cette Île, elle ne voulait pas cela. Elle voulait faire perdurer ce nom et l’indépendance de Noirmarée. Mais cela impliquait de faire quelque chose qu’elle se sentait strictement incapâble de faire. Laisser à nouveau un homme la toucher. L’idée même lui donna la nausée et elle ferma soudainement les yeux en serrant les dents. Pourquoi avait-elle pensé à ça putain de merde !

Elle se souvenait des ébats avec Tyldr, elle se souvenait aussi de la majorité des autres. Cependant, certains ne valaient pas la peine d’être gardés en mémoire. Il y en avait eu pas mal en plus de 10 ans de veuvage. Elle les avait laissé entrer dans son lit, mais le seul qui restait à jamais dans son cœur était toujours Jansen. Elle se souvenait que cela était plaisant. Mais avant. Maintenant il lui était impossible de se souvenir de leurs caresses sans que la violence d’Euron ne ressurgisse. Ses pensées divaguaient et sombraient à présent dans l’horreur. Sa main se crispa sur sa chope de bière, toujours aussi pleine, ses yeux étaient toujours fermés, elle plissa les paupières. Pourquoi avait-il parlé de cela putain de merde !

La réplique suivante du Salfalaise eut au moins l’avantage de la tirer de ses horribles souvenirs et de lui faire ouvrir les yeux. Ils étaient aussi froids que les abysses et aussi durs que le fer lorsque la blonde les braqua sur lui. Elle inspira profondément pour chasser cette envie de vomir qui la tenaillait. Elle frappa la chope sur la table et but d’une traite tout la bière. Cela ne fit pas partir sa nausée, bien au contraire. Elle trouva osé qu’il lui sorte une de ses propres répliques pour justifier cette putain de question de merde.

__ Va te faire foutre.

C'était plutôt l'idée inverse, mais c'était tout ce qu'elle avait pu trouver. il arrivait donc que la Sirène Sanglante manque de repartie quand elle se trouvait au bord du gouffre. Elle se leva en balançant la chope vide sur la table dans une sorte de tentative de la poser normalement, mais clairement elle était hors d’elle. Ou bien elle voulait quitter la pièce avant que ses démons ne l'empêchent de garder le contrôle devant ses hommes. Elle attrapa violemment une servante terrorisée par le bras et la jeta sur lui en ordonnant :

__ Conduis le à sa chambre.

Puis elle traversa la pièce aussi dignement que possible et la quitta pour retrouver ses appartements.

La pauvre servante ne comprit pas ce qui venait de se passer. Soulagée que Tyldr la lâche, elle obéit à la guerrière et proposa donc au Salfalaise de la suivre pour le mener à ses appartements. Mais il partit, alors elle ne demanda pas son reste et retourna illico en cuisine.

Personne ne bougea dans la pièce. Tous savaient que les colères de la blonde étaient telles des tempêtes et qu’il valait mieux les laisser passer que les affronter. Tous savaient ce qu’elle avait enduré, sans détail, et personne ne parlait, c’était inutile. Elle se fermait et s’emportait à chaque fois qu’on évoquait le sujet. Le Salfalaise pourtant n’avait pas parlé de cela, pas directement, mais sa question avait renvoyé la Noirmarée devant ses démons, son démon. Parce qu’il n’y avait pas trente-six moyens de mettre au monde un héritier. Personne n'empêcha non plus Tyldr de la suivre, bien au contraire. Certains avec l’espoir qu’il se fasse péter la gueule par Brunhild, d’autres avec celui qu’il parvienne à la calmer et à lui faire entendre raison. Peu probable cependant. Pourtant, même les plus avides de sang ne se levèrent pas pour aller voir. Erik et Moira se levèrent pour aller la protéger, mais les autres les en dissuadèrent d’une main posée sur leurs bras.

Brunhild entendit les pas derrière elle, elle accéléra. Puis sa voix. Là, elle se retourna, les dents serrées et le visage empli de rage. Et quand elle desserra les dents, ce fut pour lui cracher ses mots :

__ Qu’est-ce qui me prend ? QU’EST-CE QUI ME PREND ? Tu me demandes comment je vois l’avenir, tu crois qu’une femme comme moi peut avoir un avenir ? Je sais ce que je devrais faire Tyldr. Je sais que je devrais baiser avec le premier venu et prier le Dieu Noyé pour avoir un fils qui me succèderait. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas…

Sa voix se brisa et des larmes se mirent à couler sur ses joues. Avait-elle jamais pleurer en présence de quelqu’un d’autre, se l’était-elle déjà autorisée. Peut-être. Elle ne se souvenait plus, mais pas devant un autre seigneur. Non. Mais les souvenirs la submergeaient tant et si bien qu’elle ne pouvait plus retenir ses larmes. Elle le laissa approcher un peu, mais elle finit par reculer d’un pas en secouant la tête alors qu’il avançait. Mais se retourner et courir pour fuir sa présence avait-il encore du sens ? Il s’approcha encore et elle ne broncha pas. Elle retira sa main quand il voulut l’attraper et rugit un sauvage :

__ Ne me touche pas !

Elle lui lança une puissante gifle, pas tant pour ce qu'il venait de faire que pour tout le reste et pour la rage qui la gagnait afin que la tristesse ne l'engloutisse pas.

Brunhild n’abandonnait rien, pas même l’idée qu’un jour, elle puisse parvenir à surmonter l’horreur de ses souvenirs et à faire cesser, ne serait-ce qu’un instant, la panique qui la gagnait quand elle songeait à une relation intime avec un homme. C’était la seule solution et elle le savait, la seule solution pour Noirmarée. Elle savait également que le temps lui était compté, mais tant qu’elle ne parvenait pas à contrôler un minimum ce genre de réaction épidermique, que pouvait-elle envisager d’autre que d’attendre que le temps fasse son œuvre ? Elle n'oublierait pas, elle ne se faisait pas d’illusion, mais peut-être un jour, avant qu’une lame ne la fauche, pourrait-elle surmonter cela, la nausée, l’aversion, la violence que cela engendrait chez elle.

__ C’est moi ! Je ne te permet pas de juger ce que je suis. Tu ne sais rien.

Cracha la blonde au visage de Tyldr qui lui faisait la leçon sur les victoires et les échecs. Oui, avoir été capturée et violentée par Euron pendant des mois sans même pouvoir, ensuite, obtenir sa vengeance les yeux dans les yeux et épée à la main était bel et bien son plus grand échec et, comme le disait si bien le Salfalaise, elle en était seule responsable. Seule responsable d’avoir préféré vivre quand elle avait eu l’occasion de mettre fin à ses jours, préféré subir plutôt que de capituler sans combattre, préféré combattre jour après jour plutôt que de se résigner et espérer qu’une fois libérée, le Noyé remette l’Oeil de Choucas sur son chemin pour qu’elle lui fasse payer son affront dans le sang. Alors, si elle y était restée, elle aurait rejoint son époux dans les demeures liquides du Dieu Noyé, alors elle y aurait eu sa place. Pas en se jetant par dessus bord sans combattre celui qui l’avait prise comme une continentale, pas sans venger la mort de son fils. C’était le prix à payer pour festoyer à nouveau aux côtés de Jansen, car Baelor, lui, était perdu pour le Noyé, à jamais. Alors elle avait tenu. Malgré les jours où elle aurait préféré qu’il la tue, elle avait tenu. Elle n’avait pas abandonné, se raccrochant au moindre rayon de soleil qui se frayait un chemin dans la cabine du Greyjoy. Elle avait prié le Noyé de lui donner la force jusqu'au jour où elle pourrait fuir, elle s’était raccroché à cet espoir insensé de pouvoir prendre la vie de celui qui avait abusé d’elle. et ce jour était arrivé, comme un miracle, comme une réponse favorable à ses prières. Puis elle avait cherché Euron pour le tuer, mais il était déjà mort. Ainsi, si ce n’était pas pour cela que le Noyé l’avait gardé en vie, c’était peut-être parce que son destin était de sauver Noirmarées, à moins que son destin soit de mourir au combat, ailleurs, en tout cas, elle était en vie, et malgré cette faiblesse, elle ne s’avouait pas vaincue, juste incapâble de ne serait-ce que songer à coucher avec un homme.

__ Je me suis défendue, tu sais. Avec mes dents, avec mes pieds, avec mes poings. Je te laisse imaginer ce qu’il a dû me faire pour me garder à sa merci. Donc ne me dis pas de me ressaisir.

Fit-elle s'arrachant à son étreinte. C’était la première fois qu’elle en parlait, et c'était pour se justifier auprès de celui qu’elle pensait être un ami. Et puisqu’il l’avait blessée, à quoi bon se soucier de ses sentiments. Alors, plutôt que de le frapper une nouvelle fois, même si l’envie de lui mettre son poing dans la gueule ne lui manquait pas, sachant très bien qu’il pouvait encaisser et que la douleur passerait, elle ajouta entre ses dents serrées :

__ J’ai perdu ton enfant sur le Silence.

Pleine de rage, elle jeta son menton en avant avec un air de dégoût. Bien fait, souffres maintenant ! Peut-être que cela lui serait égal, après tout, il avait toute la vie devant lui pour faire des tas de fils à sa future épouse, des héritiers légitimes et pas un bâtard dont il aurait été bien compliqué de prouver la paternité.

__ Peut-être que le Noyé me donnera un fils, peut-être qu’il prendra ma vie, mais je n’ai aucune envie d’en discuter avec toi et si tu crois que j’ai baissé les bras, alors tu as oublié qui je suis.

Elle fixa le Salfalaise. Elle pleurait toujours, mais qu’importe les larmes et qu’importe les épreuves, qu’importe ce qu’elle ne pouvait plus affronter aujourd’hui et qu’importe même si elle en retrouvait un jour la possibilité. Elle restait la Sirène Sanglante

__ Je suis la Sirène Sanglante.

La Noirmarée inspira profondément.

__ Si tu es décidé à ne plus me dire qui je dois être et ce que je devrais faire, alors reste. Si non, va-t-en.

Brunhild ne s'attendait pas à une telle réponse. Elle ne saisissait pas très bien ce qui était en train de se passer, ce que Tyldr était en train de faire pour elle. Elle était en colère, elle était blessée et elle n'était pas du genre à saisir la première main tendue, à se confier. Avait-elle jamais eu besoin d'aide ? Peut-être oui. À la mort de sa fille, à la mort de son fils, après tout ça. Elle aurait eu besoin d'aide et finalement, ses proches, Jansen d'abord, puis Erik, avaient tout fait pour l'aider. Et déjà elle avait refusé, déjà elle s'était montrée aussi têtue qu'insupportable. De roc et d'acier, elle ne pliait pas, même devant Euron, elle n'avait pas plié. Une fois encore la rude Fer-Née ne plia pas, mais peut-être vacilla-t-elle, surprise par ce murmure rauque.

__ Tu ne peux pas m'aider. Personne ne peut m'aider.

Elle n'avait pas besoin d'être sauvée, secourue, elle était forte et indomptable. Peut-être ne le voulait-elle même pas. Mais cependant, sa voix était moins tranchante, son regard aussi. Au fond d'elle, elle savait qu’il n’était pas qu’un sombre connard venu la rabaisser et essayer de la baise en prime. Mais il ne pouvait pas comprendre ce qu’elle ressentait au fond, il ne savait pas la honte et la culpabilité, il ne savait pas le déshonneur, il ignorait combien de fois elle était passée si proche de la mort qu’elle avait sentit son souffle sur sa peau meurtrie par les coups. Si son corps avait guéri, son esprit était encore tailladé par les sévices subis et la femme en elle, celle qui aimait autant le sexe que la baston, était morte tellement de fois entre les mains de l’Oeil de Choucas, qu’elle ne saurait dire s’il en subsistait une seule once en elle. Il avait éteint cette flamme qui brûlait dans ses yeux, pas celle de la bataille, non, celle du désir, de la confiance, de la possibilité même de ressentir l’envie, plus encore le moindre plaisir. Son entrejambe était maudite, souillée et réduite à la douleur qu’il lui avait infligé jour après jour.

Impossible à accepter. Oui. Et trop tard, le mal était fait de toute façon. Pas celui du Greyjoy, non, celui qu'elle venait de faire au Salfalaise. Il ne disait rien, mais elle le voyait bien. Elle regrettait déjà ses mots, elle regrettait de le faire souffrir. Pas tant pour la promesse d'un avenir qui ne serait jamais, mais pour leur passé commun et parce que mine de rien, avec ses remarques bien trop abruptes, avec ce ton de défi, il venait de lui rappeler qui elle était. Je suis la Sirène Sanglante. se répétait-elle dans sa tête. Elle laissa le silence s'installer, le malaise gagner du terrain.

__ Je suis désolée.

Fit elle après un long moment d'hésitation. Bien après qu'il se soit en quelques sorte excusé, bien après qu'il lui ai laissé le passage. Etait-elle désolée de lui avoir dit qu’elle avait perdu leur enfant ? D’avoir été fait prisonnière ? D’avoir perdu cet enfant, de ne pas avoir su le garder en vie ? D’être encore en vie elle-même ? De toute cela à la fois certainement.

Il n'y avait plus rien à dire, rien qui ne ravive la douleur davantage que le silence. Peut-être que les rages enfouies la consumeraient, probablement, mais c'était le prix à payer pour ne pas se noyer dans l'horreur de son passé et rester une guerrière. Un jour, la mort la libérerait de tout cela, une mort glorieuse au combat, la mort qu'elle avait toujours espéré. Cette rage lui donnerait peut-être la force de vivre encore, de vivre à nouveau, pour Noirmarée. Il n'y avait rien à ajouter et c'est dans le silence, seulement brisé par ses pas, qu'elle partit vers ses appartements. Il faudrait que, dans le laps de temps qui les séparait du dîner, elle trouve la force de lui faire face à nouveau ainsi qu’à tous ceux qui avaient pu entendre l’échange, en entier ou non. Elle n’en avait aucune envie, mais elle le devait.