Le renard ne se laisse pas prendre deux fois à un piège (ft. Orwen)

Dans un fin sourire, Nymeros embrassa les mains de sa jeune épouse. Alayna lui retourna sa gouaille, passant une main sur son ventre. Le Renard l’observa, les yeux pleins de joie et d’amour. Elle lui avait confié n’avoir pas saigné depuis un mois et, si auparavant, il n’avait pas songé à cette éventualité, les choses avaient changé entre eux et l’idée de devenir père lui semblait tout à coup plus attrayante. Se sentait-il prêt ? Non. Mais le désirait-il ? Peut-être bien… Les deux époux roucoulaient comme ils le faisaient si souvent quand on frappa contre la porte.

Nymeros tourna la tête vers celle-ci, puis décida de ne pas répondre. Il voulait être tranquille. Mais après quelques secondes, on toqua de nouveau. Plus fort, cette fois-ci, et la clameur de la voix de Gessio retentit à travers l’huis.

— Nym, on a un problème de mauvais payeur.
— Envoie Lazaros, râla le Renard.
— On ne le trouve pas, Nym, bon sang… Fais un effort.

Un soupir et Nymeros embrassa une autre fois les mains de son épouse. Et après lui avoir promis qu’ils célébreraient l’heureux événement plus tard, tous les deux, il enfila un pourpoint sombre par-dessus sa mince chemise de lin et sortit. Son second l’attendait de pied ferme, les yeux moralisateurs quoi que toujours pleins de sympathie à son égard. Ils avaient peu d’années d’écart, pourtant, Gessio était toujours paternaliste avec lui.

Nymeros lui emboîta le pas dans les couloirs du Palais du Seigneur de la Mer, réprimant son exaspération d’avoir été coupé dans un tel moment. Il voulait fêter la bonne nouvelle, pas s’occuper de ses affaires… Gessio, tout en massant son menton terminé d’un barbiche teinte en vert, lui détailla la situation : ils avaient vendu une partie de leur cargaison de vins de Westeros à un marchand de Braavos, lequel refusait de les payer complètement. Pire encore : ce n’était pas la première fois. Autre tache au tableau, ledit marchand était une sorte d’armoire à glace qui les menaçait de ses gros bras.

Un autre soupir. Que pouvait faire le Renard face à lui ? Nymeros était bon pour sourire, charmer et négocier des prix. Mais intimider un homme ? C’est alors qu’il aperçut, comme une évidence, l’étrange ouestrien que sa famille hébergeait. Il s’arrêta en l’observant et retint Gessio d’une main.

— Je crois que j’ai notre solution.

Puis Nymeros s’approcha de ser Orwen, qui les avait rejoints depuis quelques temps et qui, paraissait-il, savait se battre. Idéal quand lui-même en était incapable. Il adressa à l’homme un sourire chaleureux, et l’aborda en Langue commune, qu’il maîtrisait bien.

— Ser Orwen, comment vous portez-vous ?

Nymeros tiqua à l’entente du titre – Maître Nymeros. Pour sûr, l’ouestrien n’était juste pas encore totalement au fait des coutumes Braaviennes. Il lui adressa alors un sourire sympathique, comme toujours, il n’était certainement pas homme nerveux et n’allait pas s’agacer pour une simple erreur de langage. Il se montra donc, patient et instructif plutôt que mauvais et cassant :

— En réalité, le titre Vala est plus adapté aux hommes Braaviens. Les Maîtres… ce sont des esclavagistes. Tout ce que nous ne sommes pas, ici, en soi.

Un conseil amical pour ne pas que l’ouestrien s’attire les foudres d’un autre Braavien. Il inclina la tête, grand sourire aux lèvres, face aux remerciements de leur hôte.

— Bien, je suis ravi de savoir que l’hospitalité de mon oncle vous siée. N’hésitez pas si vous avez la moindre requête, nous tâcherons d’être des hôtes admirables.

Le talent de la flatterie de sa langue à la plissure de ses yeux, le sourire charmant de Nymeros et l’éclat de son regard, sa posture décontractée, son air avenant… C’était le langage qu’il pratiquait le mieux. Il glissa un bras dans son dos et prit un sourire un peu gauche.

— Dites-moi, si je ne me trompe pas, vous étiez chevalier à Westeros ? J’imagine donc que vous savez combattre… Talent qui pourrait m’être utile dans mes affaires, je vous l’avoue.

Après tout, ils hébergeaient cet homme depuis des mois déjà. Peut-être accepterait-il de rendre ce petit service à ses chers hôtes, ils sauraient l’en remercier.

La réponse du Verraz, honnête, lui fit prendre conscience de sa maladresse. Nymeros reconnut son erreur d’un sourire désolé. Il inclina brièvement la tête.

— Pardonnez-moi ser Orwen, la chevalerie est un concept qui n’a pas su traverser le Détroit. J'ai sans doute quelques lacunes.

Il avait déjà voyagé vers Westeros, fait toute la côte est trois ans plus tôt. Le Renard se souvenait bien de ce voyage. Il était parti les soutes pleines, revenu les soutes totalement débordantes. Belicho avait été fier, son oncle Ferrego également. Et Nymeros avait récolté leurs honneurs avec fierté mais sans orgueil. Il ne s’embarrassait pas de la vanité. Il n’était qu’un humble marchand, talentueux certes, mais avait des défauts évidents en d’autres domaines.

Le combat, notamment. Il n’avait jamais aimé la violence ou les effusions de sang. Ses sœurs, qu’il s’agisse de Berea ou de Myria, le battaient sans mal dans cette discipline. Une épée à la main, il était parfaitement pitoyable. Avec un arc, encore, il se débrouillait relativement – sans être un archer de talent. Non, son domaine, c’était la parole et la négoce.

Alors quand il avait besoin de gros bras et que ni Lazaros, ni ses frères n’étaient là, Nymeros se tournait vers ce cher ami ouestrien qu’ils s’étaient faits.

— J’ai un problème de mauvais payeur, malheureusement. Un marchand de vin qui nous force à revoir nos prix à la baisse… Ce qui est inacceptable.

Il passa une main embarrassée contre sa nuque, toujours armé de son sourire chaleureux.

— Et ledit homme est une sorte de colosse plutôt menaçant. Comme vous pouvez le voir, je suis un marin, un marchand… Pas un soldat.

Disant cela, il se pointa lui-même. Sous son pourpoint bleu nuit, qui affinait d’autant plus sa silhouette, il était aisé de deviner un homme de mince carrure. Plus encore quand il n’atteignait pas même les six pieds de haut. Il l’avait dit lui-même : il était un marchand. Rien qu’un marchand.

— Il est peut-être un peu cavalier de vous le demander, mais vous qui maîtrisez les armes, vous sauriez sans doute vous montrer plus… convaincant que moi ?

Belicho ne le lui répétait que trop souvent : il avait encore beaucoup à apprendre. Et s’il ne faisait que de rares erreurs pour son jeune âge, Nymeros se trouvait toujours confronté au même problème, il accordait trop aisément sa confiance. Très attaché aux mœurs braaviennes, il s’en rêvait le digne représentant, et se couvrait donc de bienveillance et d’ouverture d’esprit. Cela lui coûtait, au final, quand il décidait de faire confiance par deux fois à un mauvais payeur. Peut-être s’attachait-il trop à son optimisme, que son père qualifiait de candide.

— Il est le patron de son propre commerce. Il possède un grand étal sur le port du Chiffonnier, il vend des vins venus de loin… Et surtout, mes vins.

Une pointe d’arrogance dans la voix du Renard, fier qu’il était de ses affaires. Du moins, jusqu’à ce qu’on refuse de le payer en retour. Le mauvais payeur, Serako, était un homme de Lys. Et combien de fois la sœur aînée de Nymeros lui avait-elle dit de se méfier des Lysiens ? Elle ne les aimait pas, pour une raison mystérieuse – après tout, Berea détestait bien des gens sans raison.

Il sourit à la réponse du chevalier de Cornetruie, inclinant la tête.

— Je vous remercie de votre aide, ser.

La proposition d’aller chasser lui fit hausser les sourcils dans une surprise sincère. Il regarda le chevalier avec son sourire chaleureux.

— Nous chassons très peu. Chasser implique de monter à cheval… A Braavos, nous ne montons que rarement autre chose que des navires, il faudra être patient alors.

Puis joignant ses mains tandis qu’il continuait de marcher près du chevalier, il reprit.

— Mais je suis curieux, alors pourquoi pas. Cela fera une expérience.

La question de ser Orwen lui fit froncer légèrement les sourcils. Il se doutait que l’échange entre le chevalier et le marchand Serako serait potentiellement houleux, peut-être même y aurait-il effusion de sang ? L’idée le répugnait quelque peu, le jeune homme mal à l’aise face à toute violence. Il n’aimait pas tenir une simple épée d’entraînement. Alors voir des hommes en tenir des réelles, pire, faire couler le sang ? Pourtant, il devait envoyer un message fort.

— Il serait sans doute préférable que je sois là. Tentons d’abord la diplomatie, peut-être un simple avertissement de votre part, dans un salon privé, saura-t-il convaincre ce marchand ? Je l’espère en tout cas.

La réponse du chevalier ouestrien parut étrange à Nymeros. Il le fixa sans trop comprendre. Que son père s’éteigne de vieillesse dans un lit douillet ? Assurément, c’était ce que tous souhaitaient à tout le monde, non ? Peut-être la guerre coulait-elle dans les veines des hommes de Westeros et mouraient-ils bien souvent, cela ne l’aurait guère étonné. Après tout, leur foutu Trône de Fer, sale siège inconfortable, leur avait valu bien des accrocs. Le Braavien s’y connaissait peu en leur histoire, mais il était au fait des multiples rébellions Feunoyr, des tentatives de révoltes des Fer-nés, de la guerre de Robert Baratheon bien des années plus tôt – et maintenant, encore une guerre. La raison pour laquelle le chevalier de Cornetruie était là, d’ailleurs, sans doute. Mais Nymeros ne le questionna pas à ce sujet et ne chercha ni trop à comprendre ses mots, ni à les contredire.

— Bien sûr, nous le souhaitons tous.

La voix calme, un air placide et un sourire. Cela suffisait bien.

Les mœurs de Braavos étaient si différentes de celles de Westeros, plus qu’il ne l’aurait cru apparemment. Là-bas, les garçons étaient rompus au combat avant même de savoir se servir de leur queue et ils étaient ensuite oints chevalier, et pourquoi ? Pour remplir des troupes des seigneurs mécontents que leur favori n’ait accédé au trône ? Tout cela semblait ridicule pour Nymeros. Lui avait le parler, cela lui suffisait bien – même si de sa famille, il était le seul à ne pas savoir combattre. Il n’en avait pas besoin. Les charmes ouvraient des portes, plus que des épées.

— Je vous remercie, ser Orwen. Je vais le faire inviter aux Quintes Tours, cela lui paraîtra sans doute moins menaçant que le Palais et il devrait daigner venir… Je l’espère, en tout cas.

Si il invitait Serako directement dans la demeure de son oncle le Seigneur de la Mer, il craignait qu’il ne se présente simplement pas – par crainte que Nymeros abuse de l’influence de son parent, sans doute, ce qu’il ne voulait pas faire. Parce qu’il avait sa petite fierté, quelque part derrière ses beaux sourires, et des preuves à faire à son père.

Il s’inclina poliment pour saluer le chevalier.

— Je vous attendrai donc en la demeure de mon père. Merci, ser.

L’après-midi venu, Nymeros salua ser Orwen d’un sourire affable et d’un énième remerciement, tout en l’entraînant à travers les couloirs des Quintes Tours. Gessio, qui avait ses quartiers ici en bon ami de la famille, devait avoir pris soin d’accueillir et d’installer leur hôte. Mais en arrivant au salon, Nymeros y trouva son second, les bras croisés et la mine fermée.

Le Renard se tourna vers l’ouestrien, un sourire embarrassé aux lèvres.

— Il faut croire que notre bon ami n’a pas souhaité venir. Cela vous dérangerait-il si nous lui rendions visite au port ?

Sincèrement crispé par la situation, il craignait que la violence soit nécessaire : Serako ne semblait clairement pas prêt à négocier avec lui. Tout cela ne risquerait pas de se régler à l’amiable.

Comme toujours, le port du Chiffonnier grouillait de vie. Nymeros, bien connu sur toutes les zones marchandes qu’il arpentait depuis son plus jeune âge, adressa quelques sourires à des visages connus. Mais son sourire était plus crispé qu’à l’accoutumée, le Renard dans un sincère embarras. Çà et là, des bons partenaires, qui payaient leur dû. Et enfin, sur la principale place marchande, Serako. Autour de lui, un large étal où étaient entreposées des caisses de vin de partout et d’ailleurs. Le Renard les observa, la contrariété plissant son front d’une large ride.

Nymeros coula un regard vers le ouestrien à l’entente de ses mots. Il capta le jugement dans ses yeux et se rembrunit un peu, légèrement vexé. Il hésita à sa question. Peut-être pouvait-il faire jouer ses relations de neveu du Seigneur de la Mer ? Réquisitionner une poignée de gardes…

Après quelques secondes de flottement, il hocha la tête, plus pour se convaincre lui-même.

— Tentons une dernière fois la diplomatie. Si cela ne marche pas nous aviserons.

D’un geste il invita Orwen à le suivre, espérant que la seule présence du chevalier à ses côtés parvienne à intimider Serako. Quand Nymeros s’avança vers l’étal, le mauvais payeur l’attrapa tout de suite du regard et eut au départ un sourire caustique. Sourire qu’il perdit en découvrant ser Verraz à ses côtés. Nymeros réprima un soupir soulagé, apparemment, la seule présence du chevalier semblait faire son petit effet. Le Renard se planta devant le marchand de vins, ses mains jointes dans son dos.

— Serako, votre absence aux Quintes Tours a été remarquée. Mais je gage que ce n’était qu’un malencontreux malentendu sur l’heure de notre entrevue, n’est-ce pas ?

Serako fronça d’abord les sourcils dans un sincère agacement. Il ouvrit la bouche, regarda ser Orwen du coin de l’œil, puis eut une moue.

— Un malentendu, oui… Que puis-je pour vous ?

Nymeros coula un regard vers le chevalier, la plissure de ses lèvres retrouvant un fin sourire.

— Connaissez-vous mon ami, ser Verraz ? Un chevalier de Westeros. Ser Orwen, racontez à Serako vos faits d’armes.

Il sourit à Serako. Celui-ci semblait sensible au ouestrien, presque impressionné. Il fallait dire qu’Orwen avait quelque chose d’impressionnant, d’inquiétant plutôt. Si ce n’était pas quelque chose qui plaisait vraiment à Nymeros en temps normal, cela pouvait lui être bien utile dans ce genre de cas.

Nymeros recula d’un pas prudent, et tournant les yeux vers Orwen, il se figea. L’inquiétude grimpa en lui immédiatement, comme un vent glacial tombant sur eux. Le chevalier de Cornetruie avait toujours eu une allure un peu inquiétante, un quelque chose d’anormal, d’inhumain… de dérangeant chez lui. Et cet effet s’accentuait alors, dans l’étrange gravité de ses traits, la lenteur de son geste. Sa main ouverte vers Serako, celui-ci jeta un regard perplexe vers Nymeros.

— C’est tout ce que vous avez trouvé, Antaryon ? Un chien de garde ?

Le négociant de vin eut un sourire mauvais, puant d’orgueil et d’effronterie. Fort de sa stature certainement, il retrouva en fierté. Il saisit la paume tendue du chevalier d’un grand geste, dans une poignée de mains énergique.

— Bien le bonjour, mon bon monsieur. Allez-y, contez-moi donc ces faits d’armes que me vante votre ami.

Serako leva un regard hilare sur Nymeros qui lui, préféra rester en retrait. Il n’interférerait plus dans cette histoire, et ce pour une raison claire : si Orwen savait lui se battre, Nymeros s’effondrerait si jamais la grande paluche du marchand frauduleux s’abattait sur lui. Alors, sagement, il laissait les jeux de poings aux soldats et aux forts.