[Noirmarées] Le Noyé aura le dernier mot (ft. Brunhild)

Une forteresse de granit vert se fondait dans la côte faite de la même pierre, s'élevant au-dessus de la mer en contre haut d’une bourgade de pêcheurs et du port de Noirmarées. D’ici on pouvait voir à toute heure du jour, la mer se mouvoir et les navires arriver et bien sûr Brunhild observait l’horizon chaque jour. Espérait-elle voir revenir son fils d’entre les morts. Le Dieu des tempêtes l’avait emporté à jamais et il ne festoyait pas dans les demeures liquides du Dieu Noyé, découpé en morceaux par Euron et ayant perdu la foi, bien avant ça à cause de ses putains de Hightower. Elle savait qu’il ne reviendrait pas. Elle n'espérait rien. Mais l’océan l’appelait et il la faisait se sentir vivante.

__ J’ai terminé.

Ces cheveux qui viraient au blanc tressés et ornés de perles de fer ciselé, elle sourit et détourna les yeux de sa fenêtre pour enfiler son armure de cuir noir rehaussée de pièces d’acier et de maille. Aidée par une servante, elle attacha sa ceinture de laquelle pendait son épée, celle qui avait appartenu à Jansen et qui aurait dû revenir à Baelor. Elle était à présent la seule à pouvoir arborer le pommeau orné d’une malachite polie verte et noire.

Brunhild Noirmarées descendit dans la grande salle pour prendre son petit déjeuner avec les soldats, tout le monde s'inclina respectueusement sur son passage. Elle savait que cela ne les empêchaient pas de dire qu’elle était une femme brisée par la mort de son fils unique et héritier et par sa captivité à la merci du défunt Roi du Sel et du Roc. Avaient-ils tort ? Tout dépendait des jours, elle évitait d’y penser, pour cela rien de tel que de rester occupée, c’était le soir que cela devenait difficile. Mais en compagnie de ceux qui lui étaient restés fidèles, elle se sentait moins seule. A la table d’honneur l’attendaient les hommes les plus loyaux de son époux bien aimé, les seuls qu’elle laissait s’approcher d’elle et les femmes qui avaient rejoint ses rangs, bien plus nombreuses. Elle ne pouvait bien sûr pas se permettre de congédier tous les hommes de la forteresse, mais elle gardait la plupart à distance, c’était plus simple ainsi.

__ Bonjour !

Lança-t-elle avec un large sourire comme si ses démons n’avaient pas hanté la nuit. Personne n’en parlait et elle ne voulait en parler à personne. Le passé appartenait au passé et jamais elle ne baisserait la tête à cause de lui. Jamais.

Quand on vint l’avertir que le navire de Tyldr Salfalaise approchait du port, elle s'entraînait sur la plage de l’autre côté du château par rapport au port. Elle n’aimait pas ça, mais un seul boutre ne présentait pas une menace, aucune raison donc de s'inquiéter de sa venue, pourtant  cette crainte restait, elle ne pouvait s’en défaire. Elle le connaissait bien, il avait combattu avec Yara, elle pouvait bien le laisser accoster pour la peine. Il avait la réputation d’être à moitié fou, voire totalement, mais à moins d’être suicidaire, il ne lui ferait aucun mal ici, sur son île entourée par ses gardes. Brunhild demanda donc à ce qu’on le mène à elle dès qu’il aurait mit pied à terre et en attendant, elle s’installa sur un rocher entourée de ses guerrières.

Ainsi quand il passa les portes, les hommes de la blonde ne tardèrent pas à s’avancer vers lui et le menèrent face à leur Dame que personne n’avait jamais appelé Lady, ce titre ridicule donnée aux femmes faibles des contrées vertes, et qui, il y a fort longtemps, s’appelait la Sirène Sanglante. La profonde cicatrice sur son visage attestait d’un passé glorieux au combat, les cales sur ses mains témoignaient d’une vie de bataille et de navigation, sa musculature disait tout du temps qu’elle passait à s'entraîner pour ne pas ruminer. Son regard azur aussi sauvage que l’océan se posa avec froideur sur le Seigneur de Salfalaise.

__ Tyldr, que me vaut ta visite.

Les années avaient blanchi ses longs cheveux autrefois blonds, creusé des sillons dans son visage autrefois rieur. Elles avaient aussi épaissi ses épaules et endurci son regard pourtant déjà, dans sa jeunesse, elle avait cette allure. Celle d'une guerrière qui a acquis sa place aux côtés des hommes au Fer-prix. Mais elle aimait alors un de ceux-là, elle savait rire et passait plus de temps dans leur lit conjugal ou avec leurs enfants qu'à s'entraîner. Ces pertes avaient ajouté le chagrin au poids des années. Son regard ne pétillait plus comme avant, elle n'avait plus la moindre trace de candeur dans son attitude. Quant à Tyldr, il paraissait inchangé, toujours ce regard bleu glacier foudroyant et ce sourire en coin que les pucelles trouvaient effrayant.

Brunhild sourit en coin à la remarque du Salfalaise. Elle ne s'encombrait pas de ce genre de politesse, elle n'était pas ravie de le voir, elle était bien sur son île et n'avait franchement envie de voir personne d'autre que ses gens. Enfin si pour l'union des flottes en vue d'un raid, mais c'était bien tout. Elle n'allait donc pas prétendre le contraire de ce qu'elle pensait. Cela dit, il avait de la chance, elle l'appréciait suffisamment pour ne pas le remettre à l'eau tout de suite, lui laissant le temps de parler. Lui parler d'un vaste projet. L'emphase la fit soupirer, les vastes projets avaient tendance ces derniers temps à ressembler à s'y méprendre à des idées à la con. En plus, il semblait vouloir lui parler en tête à tête et, vraiment, ça la faisait profondément chier.

__ Dis moi, dans ton vaste projet, il y a des raids, des combats, de l'alcool et des banquets ? Des sacrifices au Dieu noyé et un bon petit pactole pour Noirmarées ?

Demanda-t-elle sans avoir bougé d'un iota, soutenant toujours son regard, azur contre azur,

Lassée par une guerre qui lui avait valu bien des déboires et des pertes personnelles et qui au final n’avait rien rapporter ni à elle, ni aux Îles de Fer, oui. Fatiguée ? Jamais. Elle voulait rejoindre son époux, mais la seule chose qui pouvait lui octroyer une place à ses côtés dans les demeures liquides du Dieu Noyé était une mort au combat, et elle comptait bien l’obtenir. Sauf qu’avant cela, elle devait sortir sa maison de l‘incertitude dans laquelle l’absence d’héritier la plongeait. Si elle était prête à se battre jusqu’à la mort sur les flots ou sur la côte, elle n’était pas prête à faire suffisamment confiance à un homme pour le laisser entrer dans sa vie afin de porter à nouveau un enfant. Tout ce qui pouvait la conduire à cette joie était douloureux et même après la naissance, il y avait des risques qu’elle ne connaissait que trop bien. Pourtant le temps lui était compté, car hélas, elle ne rajeunissait pas.

Tyldr avait toujours été aussi ambitieux que téméraire, son désir de gloire arrachée au Fer-Prix ne devaient pas s’être calmé depuis qu’ils avaient écumé les mers ensemble aux côtés de Yara avant que Brunhild ne tombe aux mains d’Euron, trois ans auparavant. Les choses avaient changé pour elle, mais probablement pas pour lui, même si le connaissant, la colère devait gronder, sourde et sournoise dans son cœur de Fer-Né, depuis que la couronne avait trahi la promesse de Daenerys Targaryen.

Brunhild se raidit en le voyant approcher, mais elle ne dit rien et ses guerrières restèrent stoïque, attendant son ordre pour engager le moindre mouvement, hostile ou non. Elle s’étaient simplement interposées par habitude, gardant leur cheffe de lui comme de n’importe quel homme. Entendant son appel, elle se leva, et le fixa quelques instants en train d'afficher son incompréhension qui n’en était pas. Il savait et était seulement fâché qu’elle ne l’accueil pas à bras ouvert comme cela aurait été le cas si elle le regardait sans peur, le respect étant toujours de mise entre eux toujours perchée sur son rocher, elle parla d’un ton calme avec l’assurance de ses années de commandement et de combat.

__  Retournez à l'entraînement.

Ordonna-t-elle à ses guerrières avant de reposer les yeux sur Tyldr.

__ Marchons.

Fit la Noirmarées avant de sauter du rocher à quelques pas de lui et de se diriger sans hésiter vers la mer le laissant la suivre. Le fait qu’il soit dans son dos l’obligeait à rester concentrée, une main dans le dos, l’autre sur la hachette glissée dans sa ceinture. Il serait fou de s’en prendre à elle ici, et il n’avait aucune raison de la faire, tout Lord Safalaise soit-il. Mais se méfier était devenu une seconde nature pour elle.

__ Tu sais que je déteste perdre mon temps en palabre inutiles, alors va droit au but. Pourquoi es-tu venu me trouver ? Dis-moi le fond de ta pensée, Tyldr.

Marchant lentement, les mains dans le dos, Brunhild regardait l’horizon autrefois emplit de promesses et d’aventures et maintenant si morne. Pourtant, l’espoir demeurait tant qu'elle était en vie, celui de donner un avenir à Noirmarées, et celui de se battre à nouveau, car la paix avait ceci de frustrant qu’elle l’obligeait à rester à terre, un endroit où, certes ,les enracinement l'empêchaient de penser, mais où les nuits solitaires étaient peuplés de ses pires cauchemars. Elle savait que sur un boutre avec l’odeur du sang dans les narines, elle cesserait d’avoir peur d’un mort et que son cœur à nouveau s’emballerait pour survivre par le Fer-Prix. Il en avait été de même, jusqu’à plonger dans une frénésie meurtrière, quand elle avait perdu sa fille. L’Antique Voie était celle de l’oubli, la seule à lui donner un but qui lui permette de tourner la page de ses deuils.

Brunhild écouta donc la proposition de Tyldr avec attention. Il employait vraiment trop d’emphase parfois pour parler d’une île qui avait toujours appartenu au nord et aux ormont désormais éteint et qui n’était en fait qu’un gros rocher couvert de bois avec pas grand chose à offrir. Elle ne répondit donc pas tout de suite et le Salfalsaise dû croire que c’était parce qu’elle hésitait à retourner combattre, mais non, elle doutait seulement du bénéfice de cette entreprise, même si elle devait reconnaître qu’avec l’unité des Six Couronnes, l’ultimatum de la Couronne et toutes ces conneries, ils étaient un peu limités. C'était d’ailleurs la raison de cet ennui mortel qui la faisait gamberger plus que de raison et qui, à priori, faisait péter un plomb à son ami jusqu’à lui faire entreprendre tout et n’importe quoi. Alors qu’il lui demandait si le sang et la sueur qu’elle avait versé jusqu'ici n’avaient servi à rien, elle tourna vers lui ses yeux bleus gris et répondit.

__ Non, ils m’ont servi à ne pas foncer tête baissée dans des razzias qui ne rapportent rien. Que trouverons-nous sur l'Île aux Ours ? Tu me proposes un long voyage, dangereux à cause de la fonte des glaces, tout ça pour un bien maigre butin. Je veux bien te suivre, de toute façon j’ai besoin de prendre la mer, mais c’est une simple balade, il n’y a personne à massacrer la haut et rien à piller, on irait à la chasse à la baleine que ça serait plus rentable.

Elle hocha la tête. A force de se battre jusqu’à la mort pour trois miches de pain et finir par crever de faim tout pareil, les Fer-Nés étaient en train de sombrer dans la folie. Cela était visible dans les yeux de Tyldr, mais parfois d’une idée saugrenue, on pouvait construire un projet plus intéressant et Brunhild avait cette expérience du combat et des pillages qui, peut-être manquait au Salfalaise, en tout cas, si elle ne craignait pas la mort, elle n’aimait pas prendre des risques inutiles sans que le jeu en vaille la chandelle, c’était peut-être pour cela qu’elle était encore en vie. Et donc elle venait d’avoir une idée… Un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres.

__ Sauf…

Sauf s’ils mettaient en place une véritable stratégie pour déstabiliser le nord et pouvoir ensuite piller des endroits mieux dotés. Ou encore s’ils se débrouillaient pour ramener suffisamment de bois pour faire reconstruire les boutres perdus voir améliorer la Flotte de Fer.

__ Nous devons en parler à Yara.

Peut-être que la Greyjoy avait quelques projets qui nécessitent que les Fer-Nés unissent leur boutres, si les deux tarés ici présents se barraient dans la Baie des Glaces pour une longue épopée, cela risquait de poser problème et Brunhild raterait une bonne occasion de se battre pour celle qu’elle aurait sans hésiter élue Reine contre l’Oeil de Choucas.

Brunhild leva un sourcil lorsque Tyldr avoua être fou mais pas stupide, insinuant que parfois la frontière entre les deux disparaissait et qu’il était bel et bien de ceux qui étaient assez fous pour faire des choses stupides. Fut un un temps où la Sirène Sanglante était également de ceux-là, prête à mourir juste pour la gloire d’une traversée sanglante. Elle connaissait surtout trop bien le Salfalaise pour savoir qu’il n’avait jamais eu besoin de l'accord de qui que soit pour agir. D’ailleurs Brunhild n’aurait rien demandé à Yara s’il s’agissait juste d’un raid habituel. Mais les enjeux étaient plus grands cette fois. L’alliance avec l’Ouest, leur indépendance et l’idée de la Noirmarées pour que cette petite balade se transforme en opération aussi utile de lucrative.

__ Ce n’est pas ça. Rien ne nous empêche d’aller piller un bout de Nord si le cœur nous en dit, mais je crois savoir que Yara souhaite lever le pied sur les attaques pour organiser une offensive conjointe avec l’Ouest, c’est l’objet de son voyage à Belle Île et je serais avec elle. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous permettre d'agir comme Balon Greyjoy ou d'autres avant lui, sans quoi nous serons une fois de plus battus et décimés, puis nos enfants seront pris en otage pour nous tenir en laisse. Or, je crois qu’une attaque d'envergure sur le Nord pourrait servir nos intérêts si tant est que notre plan soit synchronisé avec celui des autres. De plus, si nous voulons qu’il remplisse nos cales, il faut s'attaquer à des régions plus riches, et si nous voulons vraiment surprendre les nordiens il va falloir être créatifs.

La Dame de Fer sourit un instant en regardant Tyldr, puis elle mit ses mains dans le dos et se planta face à la mer, les yeux rivés sur l’horizon au nord, le coin de ses lèvres légèrement relevé, elle réfléchissait. Elle avait tant et tant étudié les cartes de cette côte ouest du Conflans et du Nord qu’elle la connaissait par cœur, il y avait plusieurs options pour y semer la terreur. Mais le choix d’une stratégie détaillée dépendait avant tout de l’objectif ainsi que des effectifs. Donc de l’accord ou non de Yara. Inutile de commencer à mettre en place un plan qui évoluerait certainement en fonction de sa réponse.

__ Si nous allons sur l'Île aux Ours, ce sera pour prendre du bois, beaucoup de bois, afin de construire de nombreux boutres. Il faut seulement que nous trouvions un moyen de couper rapidement beaucoup d’arbres tout en repoussant les éventuels défenseurs et de convoyer tout ce bois du Nord aux Îles de Fer.

Plus ils seraient nombreux, plus rapidement ils pourraient charrier les arbres nécessaires à la construction de nouveaux boutres jusqu’ici. C’est pourquoi l’accord de Yara pourrait les aider à rassembler suffisamment de monde pour mener ce projet à bien.

__ Quand à la suite, nous avons le temps d’y réfléchir, mais je ne te cache pas que la Baie d’Enfer me fait de l'œil depuis plus de vingt ans. En remontant les fleuves, nous pourrions piller Tertre Bourg, les Rus, et Quart Torrhen, cela nous rapporterait autrement plus que de jouer avec les habitants des petits villages côtiers.

Elle marqua une courte pose et se tourna à nouveau vers le Salfalaise.

__ Je n'ai rien à prouver Tyldr...

Les deux guerriers n’étaient visiblement d’accord ni sur la stratégie ni sur les cibles, par contre ils étaient totalement d’accord pour aller semer la terreur dans le Nord et c’était peut être le plus important, pour le reste, ils parviendraient bien à trouver un terrain d’entente.

__ Oui, j’irais. Quelques jours de mer, un banquet et de l’alcool, il m’en faut rarement plus pour me motiver. Et puis j’ai assez envie d’aller regarder nos nouveaux alliés dans les yeux. Je n’étais pas de ceux qui les ont attaqué dernièrement, mais j’espère que les Farman sont prêts à pardonner, parce que ça a été un joli massacre et leur flotte de guerre a été détruite.

Il fallait vraiment qu’ils soient désespérés pour s'allier avec les Fer-Nés après ce que ceux-ci venaient de leur infliger, désespérés et aussi terrifiés que des pucelles face au Kraken. Compréhensible étant donné qu’ils se retrouvaient à poil, sans la moindre défense maritime face à la Flotte de Fer, sucer Yara était donc leur seule porte de sortie pour éviter de se faire rouler dessus. Brunhild se demanda jusqu’où ils étaient prêts à aller pour rester en sécurité, qui ils étaient prêts à sucer. Évidemment cela pouvait aussi être un piège, mais si la Greyjoy était tuée avec quelques seigneurs des Îles de Fer, il faudrait moins de 10 jours à toute la Flotte de Fer pour se rassembler et fondre sur Belcastel. Ce serait donc une embuscade et un suicide dans le même temps, admirable, mais pas mins mortel.

Brunhild avait installé une lourde chape de plomb sur ce qui lui était arrivé. Elle n’en parlait jamais et aucun de ses hommes ni des guerrières qui avait rejoint sa troupe n’aurait osé évoquer le sujet. Beaucoup d’insulaires parlaient derrière son dos, mais elle avait passé l’âge de se soucier des rumeurs et des moqueries. Certains osaient l’appeler la catin d’Euron, mais pas trop fort cependant, parce qu’avant d’avoir été sa prisonnière, elle avait été la Sirène Sanglante, crainte et respectée sur les mers et les Îles de Fer. Beaucoup n’oubliaient pas, qu’ils la croient brisée ou non. Après tout qui n’aurait pas été changée par une telle expérience. Elle avait connu la douleur d'entraînements acharnés et celle du combat, toutes ses souffrances avaient alors un sens, celui de la gloire de l’Antique Voie. Ce qu’elle avait vécu avec Euron n’en avait aucun, c'était son plus grand déshonneur, elle n’avait pas été capable de s'en protéger, elle n’avait pas réussi à s’enfuir et elle n’avait pas pu mettre fin à ses jours. Ce qui l'avait maintenue en vie, c'était l’idée, à chaque assaut renouvelé, qu'elle se vengerait, qu’elle lui ferait payer tout cela et qu’elle le tuerait. Mais il était mort d'une autre main et elle n’avait pas recouvré son honneur. Cependant elle était toujours en vie, elle était responsable de l’avenir de Noirmarées et il en fallait plus pour la mettre à terre, car une guerrière sait chuter maintes fois et se relever autant de fois qu’il le faut jusqu'à la dernière, celle où elle ne se relèvera pas.

Elle tourna vers Tyldr un regard amusé.

__ Tu es jeune, ne sois pas trop pressé de mourir dans la gloire, la vie a du bon.  

C’est l'expérience de la capitaine qui parlait, une expérience de la vie et de la mort, une science du combat et des raids à travers tous ceux auxquels elle avait participé ou qu’elle avait mené. D’abord aux côtés de Jansen, puis seule. Ceux également qu’elle avait préparés, envoyant ces hommes à sa place parce que son devoir l’obligeait à rester à Noirmarées pour tenir le fief pour son fils jusqu’à son retour. Elle aurait aimé le voir régner, malgré tout ce qui les séparait, la foi d’abord et hélas, le temps et l’espace qui s’étaient écoulés entre eux et en avait fait des étrangers. Foutus Hightower. Elle évoquait une stratégie et toute stratégie avait ses failles. En regardant l’horizon où le gris de la mer rencontre le gris du ciel, elle fut ravie d’apprendre que le Salfalaise trouvait que cela se tenait et qu’il se joindrai à elle. Il demanda si c'était bien le fjord qu’elle visait et elle posa à nouveau sur lui, ses yeux d'azur aux paupières marquées par les années.

__ Qu’en penses tu ? 

Si Tyldr était prêt à la suivre au nord, elle devait en parler à Yara dès leur retour de Belle Île, peut-être même que les Harloi pourraient se joindre à la partie. En parlant de ça, l’évocation de la trogne des Farman quand les Fer-Nés débarquaient à Belcastel, elle ne put s'empêcher de partager la satisfaction de Tyldr et de rire, son plastron de cuir noir légèrement secoué par les soubresauts de son amusement. Pour sûr, le voyage serait amusant et puis l’occasion de banqueter ne se refusait pas, même si une telle fête avec des gens aussi coincés du cul que des continentaux n’aurait jamais la saveur d’un festin de retour de raid.

Cela faisait 2 ans que plus personne ne l’appelait la Sirène Sanglante, pourquoi ? Parce-que Euron n’avait eu de cesse de l’appeler comme ça et que ce surnom avait pris, dans sa bouche, un tout autre sens. Dépouillé du respect qu’il avait suscité, la Sirène était devenue une esclave, une victime, et son cœur de guerrière aguerrie en avait été à jamais brisé. Oh elle s’était défendue, à chaque fois avec acharnement, Euron ressortait toujours avec un souvenir d’elle, un coquard ,une entaille. Mais il la battait tant et plus, parfois jusqu’à lui faire perdre connaissance, que c’était une bien piètre consolation. Alors elle était sanglante oui, son corps entaillé et couvert d'ecchymoses, en lieu et place du sang de ses ennemis, c’était le sien qui coulait. La Sirène Sanglante était morte dans la cabine de l’Oeil de Choucas. Et quand elle avait enfin pu fuir le joug d’Euron, les races avaient mis du temps à disparaître, et quand on l’appelait ainsi, elle devenait agressive, elle semblait folle et la peur se lisait sur son visage avant qu’elle se souvienne qu’elle n’était plus sur le Silence et que le Greyjoy avait rendu l’âme. Ce surnom qui longtemps l’avait représentée dans toute la sauvagerie de ses années à écumer les mers et à combattre avec le vent et les marées lui donnait la nausée. Alors quand il vint s'immiscer entre les lèvres du Salfalaise elle se retourna vivement vers lui et tonna d’un ton sec.

__ Ne m’appelle pas comme ça.

Tyldr ne pouvait pas savoir, elle ne lui en voulait pas. Ce qu’il avait dit par ailleurs lui faisait plaisir, mais entendre ce nom était simplement insupportable pour elle. Pour éviter qu’il ne perçoive l’horreur qu’elle savait inévitablement apparaître dans son regard quand elle repensait à son geôlier, elle se tourna vers l’horizon. Elle se demanda si elle méritait tant d’éloges, le Salfalaise avait dû être bercé par les récits de ses jeunes années quand elle était encore blonde et folle amoureuse de Jansen. Mais était elle encore réellement cette femme ? Elle était devenue, avec les années, moins intrépide et téméraire, ça n’était pas difficile et c’est d’ailleurs ce qui faisait qu'elle était toujours vivante. Jansen était le seul à pouvoir la tempérer alors, et ensuite, son devoir envers son fils et à présent Noirmarées et ses gens.

__ Il est glorieux de mourir au combat, mais le plus tard possible.

Brunhild se tourna à nouveau vers lui avec un sourire, mains croisées dans le dos, aussi droite et fière qu’un capitaine sait se tenir devant ses hommes, devant l’océan ou devant l’ennemi. Le risque était grand, la vitesse serait leur meilleur atout, et le butin ainsi amassé bien plus important que ce que le pillage des villages côtiers cent fois razziés leur rapporterait jamais.

__ Soit. Alors nous soumettrons l’idée à Yara très bientôt.

La perspective d’un raid lui mettait du baume au cœur et lui donnait le sourire. Elle se remit à marcher sur la plage et bientôt, ils arrivèrent à son extrémité, là où de gros rochers plongeaient dans les vagues et s’empilaient dangereusement jusqu’à la lande en contre haut où s'élevait le château de granite vert et noir. C’est alors que le jeune homme lui demanda s’il pouvait lui demander quelque chose. Elle allait commencer à grimper les rochers escarpés qu’elle connaissait par cœur, mais s’arrêta en le regardant.

__ Oui ?

Rester la nuit ? Elle n’aimait pas particulièrement recevoir, mais elle n’était pas non plus devenue totalement sauvage, si tant est qu’elle ait jamais été apprivoisée. Elle avait beaucoup de mal à supporter la compagnie des hommes, mais elle le devait bien souvent malgré tout et le Salfalaise n'était probablement pas le pire de ceux qu’elle avait eu à côtoyer.

__ Oui.

Fit-elle simplement, d’un ton neutre, sans chaleur ni froideur, un peu surprise peut-être, avant de commencer son ascension.