[Donjon Rouge] La Paix du Roy | Ft Brynden Nerbosc

Ulwyck froisse le bord de la lettre qu’il a reçu et fronce le nez. Est-ce que, maintenant que Bronn a un procès au cul et qu’il fait profil bas, un autre emmerdeur vient d’apparaître ? Un soupir lui échappe ; il aimerait bien ne pas avoir une autre affaire qui traîne en longueur à gérer. Il apprécie ne pas rentrer le soir avec des affaires à gérer en tête, pour apprécier le temps passé auprès de son épouse. Elle mérite toute son attention, après tout.

Le Maître des Lois s’étire, avant de se lever pour ouvrir légèrement la fenêtre et avoir un peu d’air frais. Il a fait passer un message au noble dès qu’il a entendu parler de son arrivée à Port Réal, le convoquant dans son bureau dès qu’il aura la possibilité de passer. Il espère que Brynden Nerbosc ne mettra pas trop de temps à pointer le bout de son nez, ou la journée sera longue à s’occuper de ses papiers en l’attendant.

Il lui a même envoyé son écuyer pour être certain que l’énergumène ne se perde pas en cours de route. Les rumeurs à son égard ne sont guère flatteuses et Ulwyck n’a pas vraiment la patience de se payer un imbécile fini.

Le Maître des Lois a le temps de refermer la fenêtre et de traiter quelques affaires courantes, avant que Zandren ne se pointe dans son bureau avec l’air fatigué de celui levé bien trop tôt pour ces histoires, suivi par un homme qu’il suppose être Brynden Nerbosc.

Au moins, il n’est pas encore midi. Ça aurait pu être pire. Ulwyck plaque un sourire poli sur son visage avant de se lever pour accueillir le plaignant du jour.

— Sire Nerbosc, c’est un plaisir de faire votre connaissance. Je vous en prie, installez-vous.

Un regard à son cousin, dont Ulwyck a vite pitié.

— Zan, tu es libre pour la journée. Va te reposer.

Son écuyer lâche un soupir soulagé et Ulwyck n’a même pas cœur à le reprendre, ça ne servirait de toute façon à rien. Il attendant que Zan s’en aille, avant de se rassoir et de croiser les mains sur son bureau, priant les Dieux de lui accorder la patience de traiter cette affaire.

— J’ai bien lu vos doléances. Pourriez-vous me parler de cette affaire plus en détails ? J’aimerai en savoir plus avant d’avancer quelque décision que ce soit.

Ulwyck a l’impression qu’il n’est pas au bout de ses peines.

Ulwyck écoute patiemment le déroulé de l’affaire par Sir Nerbosc ; il se permet de hausser un sourcil alors que le noble expose de manière assez impartiale les événements qui ont conduit à l’emprisonnement de son père. Il s’attendait à plus d’insultes envers Lord Edmund Tully, en vérité.

Il commence à avoir l’habitude des gens du Conflans qui n’apprécient pas leur suzerain.

Le Maître des Lois tapote du bout des doigts le bois de son bureau alors que Sir Nerbosc termine de parler. Hum, l’affaire lui paraît moins compliquée qu’elle aurait pu l’être. Il ne doute pas un instant que le père de Brynden aurait appelé à un duel judiciaire s’il avait eu le droit à un procès. Il suffirait donc de pousser Edmure Tully à procéder enfin au procès dans un premier temps, afin de respecter la justice du Roi, et d’exiger un procès auprès du roi Bran uniquement si Tully s’entête à ne pas suivre les lois.

— Je vous remercie de votre honnêteté.

Maintenant, il faut formuler ses intentions de façon à ce que Sir Nerbosc ne monte pas sur ses grands chevaux et ne veuille lui foutre une beigne. S’il tient ne serait-ce qu’à moitié de son père et si les rumeurs sont vraies, il risque de rentrer à ses appartements avec un sacré œil au beurre noir et il préfère que son épouse n’ait pas à le voir ainsi.

Ce n’est pas de la fierté personnelle ; elle risquerait de s’inquiéter en le voyant dans cet état. C’est tout.

— La Couronne n’a pas pour habitude de se mêler des affaires courantes de ses seigneurs.

Prudence. Ulwyck essaye de préparer le terrain auprès de Brynden ; la Couronne, à ce stade, ne peut pas intervenir directement pour faire le procès de son père. Ce serait empiéter sur l’autorité locale de Lord Tully et beaucoup de nobles voudront ensuite passer directement par le Maître des Lois pour écarter leur suzerain.

Même si Ulwyck n’apprécie pas Edmure Tully, il ne peut pas se permettre une telle chose, surtout en tant que Maître des Lois. Déjà, s’il arrive à pousser au procès, la plupart des seigneurs du Conflans se tourneront plus facilement vers lui en cas de conflits avec leur suzerain.

Un beau bordel en perspective.

— Cependant, si j’ai bien compris, votre père a été enfermé sur décision de Lord Tully, sans procès. C’est bien cela ?

Si c’est bien le cas, Ulwyck aura peut-être réglé la situation avant ce soir et pourra rentrer l’esprit léger auprès de Meg.

Ulwyck laisse Brynden évacuer sa colère alors qu’il entre un peu plus dans les détails et réclame justice. Sa plume tapote le bout de son parchemin où il a pris des notes ; un schéma intéressant commence à se dessiner. Il n’est pas surpris de l’inaction d’Edmund Tully ; les rumeurs sur le spécimen le décrivent bien plus lâche que courageux.

Peut-être peut-il utiliser ce défaut à son avantage pour les plans de sa tendre épouse, s’il joue finement. Il lui suffit de manipuler l’homme devant lui, faire courir quelques rumeurs et laisser le feu embraser les braises de révolte déjà présentes dans le Conflans.

Un défi à la hauteur de l’amour qu’il éprouve pour sa sirène.

— Vous me dites qu’il a laissé la situation s’envenimer ?

Ulwyck reste calme alors qu’il repose sa plume dans son encrier et fausse un air préoccupé, alors qu’il soutient le regard du plaignant.

— La situation est inquiétante. Pensez-vous que Lord Tully ait pu choisir de ne pas agir pour faire de votre père un exemple ou pour se débarrasser de lui ? Et faussé le procès pour s’accorder à ses dires ? A-t-il interdit ou refusé le duel judiciaire, par hasard ?

Distiller discrètement les graines du doute, poser le piège, et attendre de voir si l’ours s’y laisse prendre. Si Lord Nesbroc n’est pas le seul lésé, alors ce problème personnel devient une affaire de la Couronne, qui se doit d’agir lorsque sa Justice est outrepassée.

— Est-ce que vous avez eu vents d’autres… incidents de ce genre ces derniers mois ? Années ?

Un mot de Brynden et Ulwyck peut demander à Edmund Tully d’étudier les comptes-rendus de ses jugements. S’il accepte, nombre de ses vassaux essayeront de plaider leur cause auprès d’Ulwyck ou dénigreront Tully en espérant prendre sa place ; s’il refuse, les nobles du Conflans y verront un aveu.

Un mot de Brynden et le Conflans pourrait bien s’enflammer.

Brynden Nerbosc réfléchit longuement aux questions d’Ulwyck, comme soupesant le poids de ses mots pour faire fléchir la balance en sa faveur. Le Maître des Lois a l’impression que tout cela dépasse l’homme devant lui. Il fronce les sourcils, essayant de se rappeler ce qu’il sait de lui. N’était-il pas au Tournoi ? Peut-être, Ulwyck n’est plus certain. Mais il est en tout cas probable que le noble face à lui ne soit pas rentré chez lui souvent ces derniers temps, ou alors ne s’intéresse pas particulièrement à ce qui se passe dans sa région.

Une raison de plus pour aller fouiller par lui-même. Ulwyck retire ce qu’il a pu dire ; Brynden Nerbosc n’est pas un second Bronn. Il est une poule aux œufs d’or que le Maître des Lois compte bien exploiter à son profit, sous couvert de la Justice de la Couronne.

— Est-ce que votre père a déjà contredit Lord Tully en public ou a contesté, même très légèrement, son autorité ? Beaucoup de nobles du Conflans lui tiennent rancœur de son… inaction dans les dernières guerres. Il a pu vouloir faire un exemple.

Ulwyck part à la pêche aux informations avec un sourire doux et un ton conciliant, pour amener Nerbosc se confier de tout ce qu’il sait auprès de lui, même si ce sont des données incomplètes ou fausses ; au moins, cela lui servira de prétexte à enquêter et à mettre discrètement le feu aux poudres du Conflans.

Le noble lui offre d’ailleurs un procès un peu plus vieux sur un plateau d’argent. Oh, si la dame en question a encore de la famille, Ulwyck sent qu’ils s’empresseront de faire appel à la Justice du Roi en apprenant qu’il s’implique dans l’affaire de Sir Nerbosc.

— Je crois avoir entendu parler de cette affaire. À l’époque, je n’y ai pas prêté attention, mais il faudrait sans aucun doute que j’y jette un œil. Si Lord Tully truque des procès pour maintenir son pouvoir, ce n’est pas acceptable.

S’il n’avait pas un masque affable à maintenir, Ulwyck exulterait de joie. S’il exploite bien cette opportunité, il n’aura pas grand-chose à faire pour que le Conflans s’enflamme de lui-même, alimentés sur des rancœurs encore vivaces.

— J’imagine que vous ne vous attendiez pas à de telles questions de ma part, j’en suis désolé. Si jamais quelque chose vous revient ou que vous apprenez de nouvelles informations sur la situation, je vous prierai de m’en faire part au plus vite.

Ulwyck esquisse un sourire compatissant, avant de poser ses coudes sur son bureau et de poser son menton sur ses mains jointes, mimant quelques secondes de réflexion alors qu’il connait déjà son prochain mouvement.

— Oserais-je vous demander… ?

Puis Ulwyck secoue la tête, esquisse un air désolé et peiné. Comme s’il hésitait à lui demander de l’aider alors qu’il n’attend que l’occasion de le manipuler.

— Pardon, oubliez, je ne peux pas abuser de votre temps…

Il n’y a plus qu’à voir si le poisson mord à l’hameçon.