[Proche de Port Réal] Sur la route des ennuies

Oui ! Tu as raison, il existe des plantes qui te tueront si tu t’en approches, mais ce sont toujours les mêmes, il suffit de le savoir, un humain peut changer de visage,et devenir bien plus imprévisible.”

Je la regarde alors de bas en haut et l’interroge du regard, pour analyser si elle aussi est comme cela, capable de devenir autre chose, un être si différent de ce qu’elle est aujourd’hui à mon encontre. Alors je la met au pied du mur avec cette réflexion obscure

“Tu pourrais devenir si différente de ce que tu es, tout dépend de ce que l’on te disou fait, même si je nous sais amies, tout cela peut dégénérer du jour au lendemain à cause des aléas de la vie. Imagine que l’on te contraigne à me tuer pour survivre, ou bien que pire encore on te laisse le choix… ? Il est aisé de croire que l’on ne changera pas de visage à l’abri d’une telle situation, mais l’humanité est si… difficile à cerner. Je crois que l’on est juste des êtres de pure égoïsme. C’est pour cela que je préférerai partir que de te faire souffrir. Il y a des visages que l’on a et que l’on ne doit pas montrer aux autre...il pourrait ne plus nous reconnaitre...”

— Si mon passé venait à me rattraper, elle pouvait dire ce qu’elle voulait, je ne lui donnerais jamais aucune explication, et je m'enfuirais. Cette petite conversation sans véritable fait réel ni explication concrète était pour moi ma façon de la prévenir d’un avenir possible. J’espérais qu’elle l'entendait, mais peut être que comme ma maladie, elle n'écoute pas assez. Bien trop occupé par ces propres problèmes pour s’attarder réellement sur les miens. Même si elle faisait tout pour le faire paraître. Elle l’avait dit elle-même, il n’est pas facile d’essayer, mais elle faisait croire qu’elle tentait. Il en était peut être de même pour me comprendre.

Je réalisais alors qu’elle essayait peut-être de me cerner, et qu’elle échouait, inlassablement, elle attendait sagement que je lui en dise plus, que je m’ouvre à elle, ce que je ne savais pas faire.

Dandelion perturbe notre conversation et je garda en moi le fait qu’elle ne savait pas tout sur moi, et qu’un jour peut-être je lui avouerai, ce qui noircit mon coeur…

“Tu crois qu’il y a un problème ?” Dis-je en ravalant mes pensées obscures au fond de mon être et en me relevant convenablement sur mon banc de carrosse.

“Des bandits de chemin ?” Je pense toujours au pire alors pour rattraper je tente d’apaiser mes craintes en disant une petite plaisanterie plus sympathique.

“J'espère pas, j’ai mis ma plus belle robe, ce serait dommage qu’il l’a déchire...” une blague de pucelle qui n'a jamais vu le loup, c'est évident...

J’avais réussi à la faire basculer dans la noirceur, j’étais parvenu à lui faire retirer cette facette souriante qu’elle affichait en permanence. Je n’étais pas spécialement fière du résultat, elle ne brillait plus ma ptite luciole mais au moins je voyais qu’elle était humaine et pas parfaite.  
— Je m’avance vers elle et la cajole soudainement sans rien lui dire de plus. Je l’avais entraînée bien loin dans des tourments qui lui sont propres, je me devais de venir la faire revenir à elle. Lui faire enfiler son masque de force si cela était nécessaire, et pour cela je ne connaissais rien d’autre qu’une accolade des plus longues et chaleureuse comme le faisait si bien ma mère. Agrémenter par un petit :

“Ca va aller, je suis là”

Elle n’était plus là, mais je me souvenais de ce geste, avait elle jamais été réellement là pour moi ? Elle était aveuglé par ma tante et ne voyait rien de ce qui se passait dans son dos. J'espérais malgré tout que cette tendresse que je lui accorde aura plus d’impacte sur elle que ce qu’elle n’en a eu sur moi.

D’ailleurs, pour la première fois, mon cœur ne s’emballe pas à son contact, peut-être car j’ai démystifié sa grandeur une bonne fois pour toute en la privant de son sourire. Son mal me soulageait naturellement. quelle horrible amie je suis. Heureusement que je n’ai pas conscience de tout cela et que je ne le fais pas par égoïsme.

“Demain quand nous serons à Port Réal, je vais t’abandonner, tu as besoin de faire une pause de moi, voilà presque une lune que je te mine et je crois qu’il est nécessaire que l’on s’éloigne au moins une journée l’une de l’autre. Pour ton propre bien. Je sais que me côtoyer n’est pas toujours simple, alors laisse moi te faire ce cadeau. J’irais en ville, je veux faire le plein d’herbe et profiter pour flâner dans ces ruelles. J’ai envie de vivre comme une gueuse, dans la boue, et d’avoir envie de leur jeter des sortilèges… Laisse moi être une sorcière, juste demain, tu veux bien ?”

Je sais qu’elle va dire non alors avant qu’elle refuse à cause des dangers que cela implique je surenchéris et lui dit :

“J’irais avec Rick, il me plait, il est jeune mais c’est un bon garde à toi, laisse moi te l’emprunter, je suis convaincu qu’il me défendra au prix de sa vie. avoue que cela te rassure, pas vrai ?”

Non, elle n’était plus seule et moi non plus, elle venait enfin de me montrer la facette que je voulais voir d’elle, celle qui est triste et songeuse de ses tourments secrets. Je ne me sentais plus seule à hurler dans mon obscurité. Plus maintenant.
“Un jour, peut être que tu me parleras de ce que tu viens de penser, et peut être que j’en ferais alors de même. Mais ni toi ni moi ne sommes prêtes pour cela, aujourd’hui, peut-être quand nous rentrerons à la Treille, après le procès. Sache que je serais toujours là pour t’écouter, quoi que tu es fait, quoi tu feras…jamais je ne te jugerais Desmera.”
 
— Je me saisis de son visage et dépose un baisé sur sa joue, un acte amical au demeurant, je venais de trouver ce que je croyais mon âme sœur, et ce baisé n’était pas celui que l’on offre à un amant, mais celui que l’on donne à un être cher que l’on défendra jusqu’à la fin des temps. Mon coeur se porterait désormais à merveille en sa compagnie, jusqu’à la fin de notre voyage, et j’ai l’impression de voler de bien être, car je sais qu’elle est comme moi.

Étrange que ce soit avec Aloyse que ce mal se déclenchera à nouveau… mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, je dois m’occuper de Desmera et terminer les préparatifs pour mon départ de demain. J’ai tellement hâte que le carrosse roule encore et que malgrés le danger  j’emboite le pas pour sortir voir Sarah !

“Cela ne me dérange pas, je vais voir avec elle ce dont elle a besoin !”

Je réalise alors  que l’on roule encore, et m'arrête en riant à nouveau de mes âneries, décidément je les ferais toutes, mais cela n'empêche pas la porte de s'ouvrir en grand alors que le carrosse roule et qu’elle se plaque dans un grand fracas contre la cloison de la diligence

Le cochet arrête net les chevaux, par peur que l’une d’entre nous soit tombée. Ce qui est bien sûr impossible. Je fais un clin d'œil à Desmera pour me faire pardonner de mes bêtises et je lui annonce.

“Si on ne prend jamais de risque on ne fait jamais rien et on demeure dans sa chambre à jamais, non ?”

Et c’est alors que je l’abandonne pour rejoindre le carrosse de Sarah, et que je monte à l’intérieur de celle-ci en laissant ma meilleure ami et sans donner la moindre explication à quiconque, la jeune femme s’étonne alors de ma présence, je n’étais jamais venue la voir tout du long du voyage, je me demande même si c’est chose se font en tant que dame de venir dans le carrosse des servantes, presque je l’avais éviter de peur de faire un impair, maintenant je m’en moquais ! Je redoutais juste encore ces histoires de tissus qui ne m’ont jamais plus, mais j’avais hâte de partager l’information que je me rendrais bientôt seule en ville ! Nous pouvions alors parler plante autant qu’elle voulait, et  même tissu, tant pis pour moi. Pour vivre, je devais me mêler aux gens, même les petits gens.

Elle m’indiqua alors ce dont elle avait besoin après avoir tenté à de nombreuses reprises de me dissuader, mais j’avais l’accord de Desmera, alors rien ne pouvait m’arriver de pire que sa colère…

En tous cas, je ne comptais pas la décevoir, nous nous reverrons rapidement lors du procès.

Je serais là pour toi mon amie, c’est une promesse que je compte bien tenir, même si je dois patauger à quatre pattes dans le caniveau de Port Réal pour revenir à toi, tu as ma parole.