[Villevieille] Poser un pied sur le rivage | Desmera Redwyne & Aelinor Hightower

La dame apporta les chapeaux de paille, plus simple et plus légers que la plupart des couvres chefs qu'elles avaient vus jusqu'ici, ils restaient très élégants. Tout à fait dignes d'une dame de haut rang visitant son domaine. La paille était bien lissée et tressée de différentes manières pour donner un style unique à chacun. Les rubans étaient faits de riches étoffes colorées. Mais point de plumes ou de parures trop encombrantes. Ils étaient parfaits pour l'équitation.


Voyant Dandelion confier les achats à un autre soldat et Sarah pouffer, la remarque de Desmera tomba à pique pour faire rire Aelinor. C'était pareil pour sa garde, son épée lige ayant le devoir de garder les mains libres pour protéger sa dame, les autres pouvaient parfois être mis à contribution pour des tâches quelque peu ingrates comme porter les emplettes. Heureusement ce n'était pas tous les jours qu'Aelinor dévalisait les magasins de Villevieille ou de Port Réal.


Dès le matin du lendemain, les dames étaient fin prêtes pour la chasse au faucon. Une petite escorté les accompagnait et Aelinor ne put s'empêcher de remarquer les cicatrices dans le cou du chevalier de la Redwyne.

__ C'est cela. Les arbres gêneraient les rapaces.


Henri le fauconnier aida la rousse jouvencelle à se placer pour accueillir la buse sur son bras et enrouler les lacets autour de ces doigts afin qu'elle ne s'envole pas avant que la petite troupe n'arrive dans la plaine. Tramontane était très docile et douce contrairement à d'autres rapaces qui prenaient un malin plaisir à essayer de grignoter les doigts du porteur ou à lui voler la besace de viande.

__ Nous avons tout un groupe de buses pour la chasse. Elles s'organisent ensemble pour épuiser le gibier avant de le coincer et de fondre dessus à plusieurs pour le tuer. Ainsi on peut viser des gibiers plus gros, tout comme avec les aigles. 


Expliqua la brune aux yeux céruléens pendant qu'elles sortaient de la cour avec les autres, le chien devant.

__ Si tu préfères, le fauconnier peut la reprendre et toi tu observes simplement.


Répondit-elle en souriant. Aelinor portait une ample robe de lin grise dotée d'un décolleté plongeant et décorée de galons argentés et dorés avec des manches ballons aux épaules puis ajustées jusqu'au poignet. Une grande cape de laine brodée d'argent et d'or avec la grande tour blanche dans le dos et épais un col de fourrure lui tenait chaud. Elle était, cette fois, montée en amazone sur Embrun, un palefroi gris de belle constitution qui appartenait à Gunthor.


Sortant de la ville au pas elles longèrent lentement la côte jusqu'à une grande plage qui donnait envie d'un grand galop les sabots dans l'eau. Mais avec les oiseaux au bras, il n'était pas question de faire une nouvelle course. Depuis la plage, la petite troupe monta dans la lande ou le sable laissait place aux herbes hautes.

__ On commence avec Tramontane ?


Proposa Aelinor.

__ Dans le bas vol, aussi appelé autourserie, l'oiseau part du poing au départ du gibier. Vous allez donc garder l'oiseau au poing tant que le chien n'a pas débusqué le gibier. Dès qu'il marque l'arrêt, vous lâchez la buse. Attention en prenant son envol, elle pourrait vous déséquilibrer.


Expliqua le fauconnier.  

Quelques rapaces pouvaient effectivement protéger les champs des rongeurs et il suffirait de quelques buses pour limiter leur prolifération. Cependant, Desmera avait déjà fort à faire en son domaine et elle avait raison de prendre son temps pour mettre en place de nouvelles choses. Aelinor se contenta de sourire et de dire.

__ Le jour où vous vous lancez, je me ferais un plaisir de vous y aider.


La Redwyne choisit de garder l’oiseau et d’essayer de chasser avec. L’attente ne fut pas longue avant que le chien marque l’arrêt et que ce qui se trouvait caché dans les fourrés ne commence à fuir. La rousse jouvencelle relâcha l’oiseau qui prit son envol en appuyant sur son bras. La buse étant bien plus lourde que le faucon, c'était plus difficile de compenser la force, mais toujours impressionnant de voir le rapace s’envoler à une vitesse fulgurante pour fondre sur le gibier dans les hautes herbes. Mais Desmera aidée de Dandelion resta en selle, bien heureusement. Le chien rejoignit aussitôt l’oiseau tant pour s’assurer que celui-ci était en sécurité que pour permettre aux chasseurs de le repérer plus facilement. Il fallait ensuite faire vite, car la buse avait tôt fait de commencer à manger sa proie, aussi bien dressée soit-elle. Le fauconnier sauta donc à terre et récupéra Tramontane, lui donnant un morceau de viande pour la détourner de sa proie et récupérer ce qu’elle avait attrapé : un beau lièvre ! Il le montra avant de revenir avec l’oiseau, le lièvre tué par ce dernier et le chien.

__ Bravo Desmera, c’est une belle prise pour une grande première ! C’est rare de prendre quelque chose au premier vol tu sais.


S’exclama la Hightower. Chaque rapace avait une ou deux cibles de prédilection, mais parfois une opportunité se présentait à ce tueur redoutable de prendre un gibier qui n’était pas dans ses attributions. En l'occurrence, ici, c’était son met préféré, pas de surprise donc, mais néanmoins un coup réussi dès le premier vol.

__ Maintenant prend un morceau de viande et tient le entre tes doigts, puis lève le bras, tu vas la rappeler à toi en sifflant.


Fit Aelinor. Les oiseaux ne revenaient pas toujours, parfois ils allaient se percher dans un arbre, ou ils volaient au-dessus de la plaine, il fallait les rappeler plusieurs fois. Mais Tramontane ne fit pas de difficulté et revint vers la rouquine dès que le fauconnier la lâcha. La brune aux yeux azur attendit avec un sourire, que Desmera ait récupéré son oiseau et bien enroulé les lacets autour de ses doigts avant de lâcher Zéphir. Ce dernier s’envola et monta si haut dans le ciel bleu qu’il ne fut bientôt plus qu’un point, planant au-dessus de la lande en attendant que le chien trouve quelque chose. Le braque avait, dans le haut vol, comme dans le bas vol le rôle de mettre la proie en mouvement, une fois trouvé le gibier, il se mettait à l’arrêt et si besoin, il fondait sur l’animal pour le faire bouger. Là, il trouva des canards qui nichaient dans les hautes herbes et les fit décoller. Et tandis que les animaux fuyaient le chien, le faucon se plaça pour fondre en piqué sur eux. La vitesse atteinte alors tuait généralement la proie sur le coup et le faucon en fonction de ses possibilité, laissait tomber l’oiseau assommé ou l'attrapait avant de se poser au sol près du chien ou, parfois même de rejoindre son fauconnier. En l’occurrence, Zéphyr rata dans un premier temps les canards qui l’évitèrent de justesse, mais ces derniers paniquèrent ne sachant plus s’ils devaient fuir en vol ou descendre, et finalement, le faucon s’éleva et piqua une fois de plus, assommant un beau col-vert qui tomba au sol et que le chien rapporta à Aelinor.

La remarque de Desmera fit rire Aelinor, pour autant, elle eut un petit pincement au cœur. Elle était souvent à Port-Réal et manquait cruellement de temps pour réellement se reposer loin de la cour. Elle ne pouvait pas se permettre de relâcher son attention et de s'éloigner trop longtemps quitte à manquer des opportunités. Mais bien sûr, elle prendrait le temps de rendre visite à la Redwyne, mais quand et pour combien de temps, elle l'ignorait. Elle se surprit à se demander ce que deviendrait leur relation une fois que la brune serait mariée ? Aurait-elle toujours le loisir de visiter son amie sur son île ? Ce n'était pas prêt d'arriver, elle avait tout le temps d'y songer, mais il était évident qu'une fois reine, elle n'aurait plus beaucoup de temps à consacrer à la rouquine.

__ C'est le principe même de la fauconnerie, ne rien faire. Pourquoi crois-tu que j'adore cette façon de chasser ?


Aelinor rit de bon cœur avant de reprendre un peu plus sérieusement.

__ En plus c'est magnifique tu as vu ?


Elle fit ensuite voler le faucon pour montrer le haut vol à Desmera. Cette dernière confirma que c'était tout un art, et l'artiste était l'oiseau, ou même la nature dans son ensemble.

__Effectivement. L'art d'abattre le gibier sans se salir les mains et de la manière la plus esthétique qui soit. En plus les rapaces sont des tueurs très efficaces, leurs proies ne souffrent jamais longtemps.


Manifestement, la Hightower avait une grande admiration pour ses oiseaux puisqu'elle parla en caressant le faucon avec tendresse.

__ Oh vraiment ? Où ça ?


Demanda Aelinor à Dandelion. Elle n'avait jamais vu pareille pratique à Essos et pourtant elle y avait séjourné quelques temps.

__ Il n'y a aucune question stupide, enfin, tu ne peux pas deviner. Et ça me fait plaisir de t'expliquer, nous sommes là pour ça après tout.


Fit-elle en regardant la rousse jouvencelle avant de poursuivre.

__ La plupart du temps, les rapaces chassent seuls. Si on lâchait Zéphir et Tramontane, ils pourraient s'attaquer l'un l'autre. Mais Tramontane est dressée pour chasser en équipe avec nos autres buses. C'est très impressionnant. Avec les faucons on peut aussi intercepter les corbeaux.


Sourit la jeune femme en adressant un clin d'œil à son amie avant que le chien s'arrête pour faire lever un lièvre. Celui-ci fut trop rapide et parvint à se terrer dans son terrier malgré le vol fulgurant de la buse. Tramontane alla alors se percher dans un arbre pour se reposer un peu. Ensuite elle reprit son envol et se mit à planer au-dessus de la lande. À la différence de Zéphir, elle restait assez bas et attendait patiemment, en surfant sur l'air, que le lièvre ressorte. Le chien essayait quant à lui de creuser pour obliger le gibier à bouger. Après avoir observé la scène un moment avec le nez en l'air, Aelinor répondit à la question de Desmera.

__ Ici, avec ma mère. Elle chassait ainsi à Bois Doré et a apporté cette tradition du nord du Bief avec elle. J'en suis ravie. Elle chasse encore avec moi parfois.

Aelinor se devait de garder les mains parfaitement propres et de laisser les autres se salir à sa place, elle était une Hightower après tout, et une dame qui plus est. Ses oiseaux tuaient pour elle, le gibier uniquement et éventuellement quelques corbeaux, même si pour l’instant elle ne s’en était jamais servi de cette manière. Les corbeaux que Zéphir avait tué ne portaient aucune missive en tout cas. Elle acquiesça du chef quand Desmera dit qu’elle n’aimait pas se salir les mains mais qu’il était vrai que c’était magnifique. La fauconnerie résumait à elle seule l’action de la brune aux yeux céruléens, l'esthétique devait toujours primer sur la violence sans que le résultat n’en soit diminué. Quoi que si les rapaces étaient des tueurs efficaces, ils manquaient parfois leur cible, peut-être plus souvent qu’une meute de chiens accompagnée de chasseurs.


Dandelion répondit à la jouvencelle, mais il semblait gêné, comme s’il avait lui-même été victime d’une telle attaque. Il était certain que la Hightower n’aurait pas aimé être attaquée par un de ces oiseaux, leurs serres et leur bec étaient des armes tranchantes dont il convenait de se protéger avec le gantelet en cuir. Heureusement, les siens étaient habitués à l’homme depuis longtemps et ils étaient très doux et dociles, n’ayant jamais appris à s’en prendre aux humains et même en ayant été fort dissuadés. Si l’un d’entre eux attaquait quelqu’un, il était généralement abattu à moins qu’un peu de dressage ne suffise à le remettre dans le droit chemin. Mais c’était très rare de toute façon. Le seul problème c’est qu’ils ne se rendaient pas nécessairement compte qu’ils pouvaient faire très mal avec leur bec et leurs serres, alors quand ils rataient le bras sur lequel ils devaient se poser, cela pouvait engendrer des blessures. C’était arrivé une ou deux fois à Aelinor et elle n'était pas prête de l'oublier, pourtant l’oiseau n’avait pas du tout cherché à lui faire mal. Elle savait donc parfaitement les dégâts que pouvaient causer ses animaux et n’insista pas devant le malaise du chevalier.


Souriant à l’évocation de la mère de Desmera et des jardins de la Treille, Aelinor se souvint que Denyse lui en avait parlé. Point de jardin à Villevieille, enfin si, mais ils étaient minuscules comparés à la hauteur de la tour à sept étages et sept face sur sa base carrée. La Ville qui s'était construite autour avait pris la place et l’ombre immense que Grand Tour faisait au fil de la journée et des saisons tout autour d’elle, jusque sur la ville, servant ainsi de cadran solaire géant, ne permettait pas à la végétation de prendre ses aises. Ainsi en plus d’être petits, ils étaient loin d’être luxuriants. Il était donc certain que ceux de la Treille étaient plus jolis, ceux de Hautjardin étaient les plus beaux que la brune ait jamais vus.

__ Lady Denyse m’en a parlé, des jardins de la Treille, ils sont magnifiques paraît-il. J’aimerais les voir à l’occasion, mais si je ne le peux pas car je ne suis pas liée par mariage à… toi.


La brune aux yeux azur se mit à rire avant de terminer sa phrase.

__ Je comprendrais.


Passant devant Desmera, Aelinor attendit patiemment que le chien s’arrête avec cette pause si particulière qu’il avait quand il avait repéré quelque chose. Elle lâcha Zéphir à nouveau qui monta haut dans le ciel et quand il se mit à planer au rond au dessus de la lande, le chien avança dans les hautes herbes et provoqua une bruyante et impressionnante envolée de pigeons qui surprit le cheval de la brune qui leva légèrement ses antérieur avant qu’une caresse de sa maîtresse ne le calme dans un ronflement sonore. Le faucon plongea en piqué et assomma un pigeon que le chien, cette fois, ramena directement à son maître. Une fois le faucon revenu à son point de départ, ce qui prit un peu de temps, la Redwyne fit remarquer que la chasse avait été bonne.

__ Tu as raison, nous avons largement assez de viande pour le dîner, rentrons.


Elles rentrèrent sans encombre à Grand Tour et puisque le Fauconnier avait récupéré les deux oiseaux, elle s’offrirent même un grand galop sur la plage. Les sabots des chevaux soulevaient des gerbes d’écume et le chien était ravi de se défouler. Puis elles se quittèrent en se donnant rendez-vous au dîner. Ce serait le dernier avant le grand départ et ils prendraient la route à l’aube, alors la nourriture serait somptueuse, car les prochains risquaient d’être nettement moins faciles à préparer, mais pas trop lourds cependant, et point de fête, tout le monde irait au lit de bonne heure.

Fin